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MÉMOIRES.

Adieu, grandeurs, adieu, chimères ;
De vos bluettes passagères
Mes yeux ne sont plus éblouis.

Si votre faux éclat de ma naissante aurore
Fit trop imprudemment éclore

Des désirs indiscrets, longtemps évanouis,
Au sein de la philosophie.
École de la vérité,

Zénon me détrompa de la frivolité
Qui produit les erreurs du songe de la vie….

Adieu, divine volupté,

Adieu, plaisirs charmants, qui flattez la mollesse,
Et dont la troupe enchanteresse
Par des liens de fleurs enchaîne la gaité….
Mais que fais-je, grand Dieu ! courbé sous la tristesse,
Est-ce à moi de nommer les plaisirs, l’allégresse ?

Et sous la griffe du vautour
Voit-on la tendre tourterelle
Et la plaintive Philomèle
Chanter ou respirer l’amour ?
Depuis longtemps pour moi l’astre de la lumière

N’éclaira que des jours signalés par mes maux ;
Depuis longtemps Morphée, avare de pavots,
N’en daigne plus jeter sur ma triste paupière.
Je disais ce matin, les yeux couverts de pleurs :

Le jour, qui dans peu va paraître.
M’annonce de nouveaux malheurs ;
Je disais à la nuit : Tu vas bientôt renaître

Pour éterniser mes douleurs….
Vous, de la liberté héros que je révère,
mânes de Caton, ô mânes de Brutus !

Votre illustre exemple m’éclaire
Parmi l’erreur et les abus ;
C’est votre flambeau funéraire
Qui m’instruit du chemin, peu connu du vulgaire.

Que nous avaient tracé vos antiques vertus….
J’écarte les romans et les pompeux fantômes
Qu’engendra de ses flancs la Superstition ;
Et pour approfondir la nature des hommes,
Pour connaître ce que nous sommes,
Je ne m’adresse point à la Religion[1].

J’apprends de mon maître Épicure
Que du temps la cruelle injure
Dissout les êtres composés ;
  1. Dans les Œuvres du roi de Prusse, on lit ici : à la Dévotion.