Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/368

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On sait que ces esprits fameux
Sont punis dans la nuit profonde ;
Il faut qu’il soit damné comme eux,
Puisqu’il vit comme eux dans ce monde.
Mais surtout que je suis fâché
De le voir toujours entiché
De l’énorme et cruel péché
Que l’on nomme la tolérance !
Pour moi, je frémis quand je pense
Que le musulman, le païen,
Le quakre, et le luthérien,
L’enfant de Genève et de Rome,
Chez lui tout est reçu si bien,
Pourvu que l’on soit honnête homme.
Pour comble de méchanceté,
Il a su rendre ridicule
Cette sainte inhumanité,
Cette haine dont sans scrupule
S’arme le dévot entêté,
Et dont se raille l’incrédule.
Que ferai-je, grand cardinal,
Moi chambellan très-inutile
D’un prince endurci dans le mal,
Et proscrit dans notre Évangile ?
Vous dont le front prédestiné
À nos yeux doublement éclate ;
Vous dont le chapeau d’écarlate
Des lauriers du Pinde est orné ;
Qui, marchant sur les pas d’Horace
Et sur ceux de saint Augustin,
Suivez le raboteux chemin
Du paradis et du Parnasse,
Convertissez ce rare esprit :
C’est à vous d’instruire et de plaire ;
Et la grâce de Jésus-Christ
Chez vous brille en plus d’un écrit,
Avec les trois Grâces d’Homère[1].



  1. L’épître à Darget qui vient ordinairement après cette pièce se trouve dans la Correspondance, lettre du 9 mars 1751.