Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome10.djvu/421

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À sculpter votre serviteur,
Vous agacez l’esprit railleur
De certain peuple rimailleur,
Qui depuis si longtemps me hue.
L’ami Fréron, ce barbouilleur
D’écrits qu’on jette dans la rue,
Sourdement de sa main crochue
Mutilera votre labeur.
Attendez que le destructeur
Qui nous consume et qui nous tue,
Le Temps, aidé de mon pasteur,
Ait d’un bras exterminateur
Enterré ma tête chenue.
Que ferez-vous d’un pauvre auteur
Dont la taille et le cou de grue,
Et la mine très-peu joufflue,
Feront rire le connaisseur ?
Sculptez-nous quelque beauté nue,
De qui la chair blanche et dodue
Séduise l’œil du spectateur,
Et qui dans son âme insinue[1]
Ces doux désirs et cette ardeur
Dont Pygmalion le sculpteur,
Votre digne prédécesseur,
Brûla, si la fable en est crue.
Au marbre il sut donner un cœur[2],
Cinq sens, instruments du bonheur,
Une âme en ces sens répandue ;
Et, soudain fille devenue,
Cette fille resta pourvue
De doux appas que sa pudeur
Ne dérobait point à la vue :
Même elle fut plus dissolue
Que son père et son créateur.

    Que c’est à lui qu’elle était due.
    Quand votre ciseau s’évertue, etc.

  1. Variante :
    Et qui dans nos sens insinue…
  2. Variante :
    Son marbre eut un esprit, un cœur ;
    Il eut mieux, dit un grave auteur ;
    Car soudain fille devenue, etc.