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CHAPITRE XVII.

Il ne faut pas croire que les empereurs reconnussent pour rois ces chefs sauvages qui dominaient en Bourgogne, à Soissons, à Paris, à Metz, à Orléans : jamais ils ne leur donnèrent le titre de basileus. ils ne le donnèrent pas même à Dagobert II, qui réunissait sous son pouvoir toute la France occidentale jusqu’auprès du Véser. Les historiens parlent beaucoup de la magnificence de ce Dagobert, et ils citent en preuve l’orfèvre saint Éloi, qui arriva, dit-on, à la cour avec une ceinture garnie de pierreries, c’est-à-dire qu’il vendait des pierreries, et qu’il les portait à sa ceinture. On parle des édifices magnifiques qu’il fit construire ; où sont-ils ? la vieille église de Saint-Paul n’est qu’un petit monument gothique. Ce qu’on connaît de Dagobert, c’est qu’il avait à la fois trois épouses, qu’il assemblait des conciles, et qu’il tyrannisait son pays.

Sous lui, un marchand de Sens, nommé Samon, va trafiquer en Germanie. Il passe jusque chez les Slaves, barbares qui dominaient vers la Pologne et la Bohême. Ces autres sauvages sont si étonnés de voir un homme qui a fait tant de chemin pour leur apporter les choses dont ils manquent qu’ils le font roi. Ce Samon fit, dit-on, la guerre à Dagobert ; et si le roi des Francs eut trois femmes, le nouveau roi slavon en eut quinze.

C’est sous ce Dagobert que commence l’autorité des maires du palais. Après lui viennent les rois fainéants, la confusion, le despotisme de ces maires. C’est du temps de ces maires, au commencement du viiie siècle, que les Arabes, vainqueurs de l’Espagne, pénètrent jusqu’à Toulouse, prennent la Guienne, ravagent tout jusqu’à la Loire, et sont près d’enlever les Gaules entières aux Francs, qui les avaient enlevées aux Romains. Jugez en quel état devaient être alors les peuples, l’Église, et les lois.

Les évêques n’eurent aucune part au gouvernement jusqu’à Pepin ou Pipin, père de Charles Martel, et grand-père de l’autre Pepin qui se fit roi. Les évêques n’assistaient point aux assemblées de la nation franque. Ils étaient tous ou Gaulois ou Italiens, peuples regardés comme serfs. En vain l’évêque Rémi, qui baptisa Clovis, avait écrit à ce roi sicambre cette fameuse lettre où l’on trouve ces mots : « Gardez-vous bien surtout de prendre la préséance sur les évêques ; prenez leurs conseils : tant que vous serez en intelligence avec eux, votre administration sera facile. » Ni Clovis ni ses successeurs ne firent du clergé un ordre de l’État : le gouvernement ne fut que militaire. On ne peut mieux le comparer qu’à ceux d’Alger et de Tunis, gouvernés par un chef et une milice. Seulement les rois consultaient quelquefois les évêques quand ils avaient besoin d’eux.