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CHAPITRE XXVIII.

de Sicile, en 846, avec une flotte nombreuse. Ils entrent par l’embouchure du Tibre, et, ne trouvant qu’un pays presque désert, ils vont assiéger Rome. Ils prirent les dehors, et ayant pillé la riche église de Saint-Pierre hors des murs, ils levèrent le siége pour aller combattre une armée de Français qui venait secourir Rome, sous un général de l’empereur Lothaire. L’armée française fut battue, mais la ville, rafraîchie, fut manquée ; et cette expédition, qui devait être une conquête, ne devint, par la mésintelligence, qu’une incursion de barbares. Ils revinrent bientôt après avec une armée formidable, qui semblait devoir détruire l’Italie, et faire une bourgade mahométane de la capitale du christianisme. Le pape Léon IV, prenant dans ce danger une autorité que les généraux de l’empereur Lothaire semblaient abandonner, se montra digne, en défendant Rome, d’y commander en souverain. Il avait employé les richesses de l’Église à réparer les murailles, à élever des tours, à tendre des chaînes sur le Tibre. Il arma les milices à ses dépens, engagea les habitants de Naples et de Gaïète à venir défendre les côtes et le port d’Ostie, sans manquer à la sage précaution de prendre d’eux des otages, sachant bien que ceux qui sont assez puissants pour nous secourir le sont assez pour nous nuire. Il visita lui-même tous les postes, et reçut les Sarrasins à leur descente, non pas en équipage de guerrier, ainsi qu’en avait usé Goslin, évêque de Paris, dans une occasion encore plus pressante[1] mais comme un pontife qui exhortait un peuple chrétien, et comme un roi qui veillait à la sûreté de ses sujets. Il était né Romain (849). Le courage des premiers âges de la république revivait en lui dans un temps de lâcheté et de corruption, tel qu’un des beaux monuments de l’ancienne Rome, qu’on trouve quelquefois dans les ruines de la nouvelle.

Son courage et ses soins furent secondés. On reçut les Sarrasins courageusement à leur descente ; et la tempête ayant dissipé la moitié de leurs vaisseaux, une partie de ces conquérants échappés au naufrage fut mise à la chaîne. Le pape rendit sa victoire utile en faisant travailler aux fortifications de Rome et à ses embellissements les mêmes mains qui devaient les détruire. Les mahométans restèrent cependant maîtres du Garillan, entre Capoue et Gaïète, mais plutôt comme une colonie de corsaires indépendants que comme des conquérants disciplinés.

Je vois donc, au ixe siècle, les musulmans redoutables à la fois à Rome et à Constantinople, maîtres de la Perse, de la Syrie, de

  1. Voyez chapitre xxv.