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CHAPITRE XCV.


CHAPITRE XCV.


De la Bourgogne, et des Suisses ou Helvétiens,
du temps de Louis XI, au xv
e siècle.


Charles le Téméraire, issu en droite ligne de Jean, roi de France, possédait le duché de Bourgogne comme l’apanage de sa maison, avec les villes sur la Somme que Charles VII avait cédées. Il avait par droit de succession la Franche-Comté, l’Artois, la Flandre, et presque toute la Hollande. Ses villes des Pays-Bas florissaient par un commerce qui commençait à approcher de celui de Venise. Anvers était l’entrepôt des nations septentrionales ; cinquante mille ouvriers travaillaient dans Gand aux étoffes de laine ; Bruges était aussi commerçante qu’Anvers ; Arras était renommée pour ses belles tapisseries, qu’on nomme encore de son nom en Allemagne, en Angleterre et en Italie.

Les princes étaient alors dans l’usage de vendre leurs États quand ils avaient besoin d’argent, comme aujourd’hui on vend sa terre et sa maison. Cet usage subsistait depuis le temps des croisades. Ferdinand, roi d’Aragon, vendit le Roussillon à Louis XI avec faculté de rachat. Charles, duc de Bourgogne, venait d’acheter la Gueldre. Un duc d’Autriche lui vendit encore tous les domaines qu’il possédait en Alsace et dans le voisinage des Suisses. Cette acquisition était bien au-dessus du prix que Charles en avait payé. Il se voyait maître d’un État contigu des bords de la Somme jusqu’aux portes de Strasbourg : il n’avait qu’à jouir. Peu de rois dans l’Europe étaient aussi puissants que lui ; aucun n’était plus riche et plus magnifique. Son dessein était de faire ériger ses États en royaume : ce qui pouvait devenir un jour très-préjudiciable à la France. Il ne s’agissait d’abord que d’acheter le diplôme de l’empereur Frédéric III. L’usage subsistait encore de demander le titre de roi aux empereurs : c’était un hommage qu’on rendait à l’ancienne grandeur romaine. La négociation manqua, et Charles de Bourgogne, qui voulait ajouter à ses États la Lorraine et la Suisse, était bien sûr, s’il eût réussi, de se faire roi sans la permission de personne.

Son ambition ne se couvrait d’aucun voile, et c’est principalement ce qui lui fit donner le surnom de Téméraire. On peut juger de son orgueil par la réception qu’il fit à des députés de