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DE LA BOURGOGNE, ET DES SUISSES.

Suisse (1474). Des écrivains de ce pays assurent que le duc obligea ces députés de lui parler à genoux[1]. C’est une étrange contradiction dans les mœurs d’un peuple libre, qui fut bientôt après son vainqueur.

Voici sur quoi était fondée la prétention du duc de Bourgogne, à laquelle les Helvétiens se soumirent. Plusieurs bourgades suisses étaient enclavées dans les domaines vendus à Charles par le duc d’Autriche. Il croyait avoir acheté des esclaves. Les députés des communes parlaient à genoux au roi de France ; le duc de Bourgogne avait conservé l’étiquette des chefs de sa maison. Nous avons d’ailleurs remarqué que plusieurs rois, à l’exemple de l’empereur, avaient exigé qu’on fléchît un genou en leur parlant ou en les servant ; que cet usage asiatique avait été introduit par Constantin, et précédemment par Dioclétien. De là même venait la coutume qu’un vassal fît hommage à son seigneur, les deux genoux en terre. De là encore l’usage de baiser le pied droit du pape. C’est l’histoire de la vanité humaine.

Philippe de Commines et la foule des historiens qui l’ont suivi prétendent que la guerre contre les Suisses, si fatale au duc de Bourgogne, fut excitée pour une charrette de peaux de moutons. Le plus léger sujet de querelle produit une guerre, quand on a envie de la faire ; mais il y avait déjà longtemps que Louis XI animait les Suisses contre le duc de Bourgogne, et qu’on avait commis beaucoup d’hostilités de part et d’autre avant l’aventure de la charrette : il est très-sûr que l’ambition de Charles était l’unique sujet de la guerre.

Il n’y avait alors que huit cantons suisses confédérés ; Fribourg, Soleure, Schaffhouse et Appenzel, n’étaient pas encore entrés dans l’union, Bâle, ville impériale, que sa situation sur le Rhin rendait puissante et riche, ne faisait pas partie de cette république naissante, connue seulement par sa pauvreté, sa simplicité et sa valeur. Les députés de Berne vinrent remontrer à cet ambitieux que tout leur pays ne valait pas les éperons de ses chevaliers. Ces Bernois ne se mirent point à genoux ; ils parlèrent avec humilité, et se défendirent avec courage.

(1476) La gendarmerie du duc, couverte d’or, fut battue et mise deux fois dans la plus grande déroute par ces hommes simples, qui furent étonnés des richesses trouvées dans le camp des vaincus.

Aurait-on prévu, lorsque le plus gros diamant de l’Europe,

  1. Sur les prosternements, voyez le chapitre xiii.