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ÉTAT DE L’EUROPE AU XVIe SIÈCLE.

les rangifères que dans ces contrées, semble y avoir produit des Lapons ; et comme leurs rennes ne sont point venus d’ailleurs, ce n’est pas non plus d’un autre pays que les Lapons y paraissent venus. Il n’est pas vraisemblable que les habitants d’une terre moins sauvage aient franchi les glaces et les déserts pour se transplanter dans des terres si stériles. Une famille peut être jetée par la tempête dans une île déserte, et la peupler ; mais on ne quitte point dans le continent des habitations qui produisent quelque nourriture, pour aller s’établir au loin sur des rochers couverts de mousse, où l’on ne peut se nourrir que de lait de rennes et de poissons. De plus, si des Norvégiens, des Suédois, s’étaient transplantés en Laponie, y auraient-ils changé absolument de figure ? Pourquoi les Islandais, qui sont aussi septentrionaux que les Lapons, sont-ils d’une haute stature ; et les Lapons, non-seulement petits, mais d’une figure toute différente ? C’était donc une nouvelle espèce d’hommes qui se présentait à nous, tandis que l’Amérique, l’Asie, et l’Afrique, nous en faisaient voir tant d’autres. La sphère de la nature s’élargissait pour nous de tous côtés, et c’est par là seulement que la Laponie mérite notre attention[1].

Je ne parlerai point de l’Islande, qui était le ThuIe des anciens, ni du Groenland, ni de toutes ces contrées voisines du pôle, où l’espérance de découvrir un passage en Amérique a porté nos vaisseaux : la connaissance de ces pays est aussi stérile qu’eux, et n’entre point dans le plan politique du monde.

La Pologne, ayant longtemps conservé les mœurs des Sarmates, commençait à être considérée de l’Allemagne depuis que la race des Jagellons était sur le trône. Ce n’était plus le temps où ce pays recevait un roi de la main des empereurs, et leur payait tribut.

Le premier des Jagellons avait été élu roi de cette république en 1382. Il était duc de Lithuanie : son pays et lui étaient idolâtres, ou du moins ce que nous appelons idolâtres, aussi bien que plus d’un palatinat. Il promit de se faire chrétien, et d’incorporer la Lithuanie à la Pologne : il fut roi à ces conditions.

Ce Jagellon, qui prit le nom de Ladislas, fut père de ce malheureux Ladislas, roi de Hongrie et de Pologne, né pour être un des plus puissants rois du monde, (1444) mais qui fut défait et tué à cette bataille de Varnes que le cardinal Julien lui fit

  1. Si Voltaire insiste ici sur l’espèce distincte des Lapons, c’est qu’il a en vue de réfuter Buffon, qui, dans son Histoire naturelle, donne les Lapons comme étant de la même espèce que les Samoyèdes. Voyez l’Histoire de Russie, chapitre i. (G. A.)