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CHAPITRE CXLVI.

L’Amérique, ainsi que l’Afrique et l’Asie, produit des végétaux, des animaux qui ressemblent à ceux de l’Europe ; et, tout de même encore que l’Afrique et l’Asie, elle en produit beaucoup qui n’ont aucune analogie à ceux de l’ancien monde.

Les terres du Mexique, du Pérou, du Canada, n’avaient jamais porté ni le froment qui fait notre nourriture, ni le raisin qui fait notre boisson ordinaire, ni les olives dont nous tirons tant de secours, ni la plupart de nos fruits. Toutes nos bêtes de somme et de charrue, chevaux, chameaux, ânes, bœufs, étaient absolument inconnus. Il y avait des espèces de bœufs et de moutons, mais toutes différentes des nôtres. Les moutons du Pérou étaient plus grands, plus forts que ceux d’Europe, et servaient à porter des fardeaux. Leurs bœufs tenaient à la fois de nos buffles et de nos chameaux. On trouva dans le Mexique des troupeaux de porcs qui ont sur le dos une glande remplie d’une matière onctueuse et fétide : point de chiens, point de chats. Le Mexique, le Pérou, avaient une espèce de lions, mais petits et privés de crinière ; et, ce qui est plus singulier, le lion de ces climats était un animal poltron.

On peut réduire, si l’on veut, sous une seule espèce tous les hommes, parce qu’ils ont tous les mêmes organes de la vie, des sens et du mouvement. Mais cette espèce parut évidemment divisée en plusieurs autres dans le physique et dans le moral.

Quant au physique, on crut voir dans les Esquimaux qui habitent vers le soixantième degré du nord, une figure, une taille semblable à celle des Lapons. Des peuples voisins avaient la face toute velue. Les Iroquois, les Hurons, et tous les peuples jusqu’à la Floride, parurent olivâtres et sans aucun poil sur le corps, excepté la tête. Le capitaine Rogers, qui navigua vers les côtes de la Californie, y découvrit des peuplades de nègres qu’on ne soupçonnait pas dans l’Amérique. On vit dans l’isthme de Panama une race qu’on appelle les Dariens[1] qui a beaucoup de rapport aux Albinos d’Afrique. Leur taille est tout au plus de quatre pieds ; ils sont blancs comme les Albinos, et c’est la seule race de l’Amérique qui soit blanche. Leurs yeux rouges sont bordés de paupières façonnées en demi-cercles. Ils ne voient et ne sortent de leurs trous que la nuit ; ils sont parmi les hommes ce que les hiboux sont parmi les oiseaux. Les Mexicains, les Péruviens, parurent d’une couleur bronzée, les Brasiliens d’un rouge plus foncé, les peuples du Chili plus cendrés. On a exagéré la grandeur des Patagons qui habitent vers le détroit de Magellan ;

  1. On ne voit presque plus aujourd’hui de ces Dariens. (Note de Voltaire.)