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VAINES DISPUTES SUR L’AMÉRIQUE.

mais on croit que c’est la nation de la plus haute taille qui soit sur la terre.

Parmi tant de nations si différentes de nous, et si différentes entre elles, on n’a jamais trouvé d’hommes isolés, solitaires, errants à l’aventure à la manière des animaux, s’accouplant comme eux au hasard, et quittant leurs femelles pour chercher seuls leur pâture. Il faut que la nature humaine ne comporte pas cet état, et que partout l’instinct de l’espèce l’entraîne à la société comme à la liberté ; c’est ce qui fait que la prison sans aucun commerce avec les hommes est un supplice inventé par les tyrans, supplice qu’un sauvage pourrait moins supporter encore que l’homme civilisé.

Du détroit de Magellan jusqu’à la baie d’Hudson, on a vu des familles rassemblées et des huttes qui composaient des villages ; point de peuples errants qui changeassent de demeures selon les saisons, comme les Arabes-Bédouins et les Tartares : en effet, ces peuples, n’ayant point de bêtes de somme, n’auraient pu transporter aisément leurs cabanes. Partout on a trouvé des idiomes formés, par lesquels les plus sauvages exprimaient le petit nombre de leurs idées : c’est encore un instinct des hommes de marquer leurs besoins par des articulations. De là se sont formées nécessairement tant de langues différentes, plus ou moins abondantes, selon qu’on a eu plus ou moins de connaissances. Ainsi la langue des Mexicains était plus formée que celle des Iroquois, comme la nôtre est plus régulière et plus abondante que celle des Samoïèdes.

De tous les peuples de l’Amérique, un seul avait une religion qui semble, au premier coup d’œil, ne pas offenser notre raison. Les Péruviens adoraient le soleil comme un astre bienfaisant, semblables en ce point aux anciens Persans et aux Sabéens ; mais si vous en exceptez les grandes et nombreuses nations de l’Amérique, les autres étaient plongées pour la plupart dans une stupidité barbare. Leurs assemblées n’avaient rien d’un culte réglé ; leur créance ne constituait point une religion. Il est constant que les Brasiliens, les Caraïbes, les Mosquites, les peuplades de la Guiane, celles du Nord, n’avaient pas plus de notion distincte d’un Dieu suprême que les Cafres de l’Afrique. Cette connaissance demande une raison cultivée, et leur raison ne l’était pas. La nature seule peut inspirer l’idée confuse de quelque chose de puissant, de terrible, à un sauvage qui verra tomber la foudre, ou un fleuve se déborder. Mais ce n’est là que le faible commencement de la connaissance d’un Dieu créateur : cette connaissance raisonnée manquait même absolument à toute l’Amérique.