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CHAPITRE LXXX.

Ce n’est pas assez de la cruauté pour porter les hommes à de telles exécutions, il faut encore ce fanatisme composé de superstition et d’ignorance, qui a été la maladie de presque tous les siècles. Quelque temps auparavant, les Anglais condamnèrent la princesse de Glocester à faire amende honorable dans l’église de Saint-Paul, et une de ses amies à être brûlée vive, sous prétexte de je ne sais quel sortilège employé contre la vie du roi. On avait brûlé le baron de Cobham en qualité d’hérétique ; et en Bretagne on fit mourir par le même supplice le maréchal de Retz, accusé de magie, et d’avoir égorgé des enfants pour faire avec leur sang de prétendus enchantements.

Que les citoyens d’une ville immense, où les arts, les plaisirs et la paix règnent aujourd’hui, où la raison même commence à s’introduire, comparent les temps, et qu’ils se plaignent s’ils l’osent. C’est une réflexion qu’il faut faire presque à chaque page de cette histoire.

Dans ces tristes temps, la communication des provinces était si interrompue, les peuples limitrophes étaient si étrangers les uns aux autres, qu’une aventurière osa, quelques années après la mort de la Pucelle, prendre son nom en Lorraine et soutenir hardiment qu’elle avait échappé au supplice, et qu’on avait brûlé un fantôme à sa place. Ce qui est plus étrange, c’est qu’on la crut. On la combla d’honneurs et de biens ; et un homme de la maison des Armoises l’épousa en 1436, pensant en effet épouser la véritable héroïne qui, quoique née dans l’obscurité, eût été pour le moins égale à lui par ses grandes actions[1].

Pendant cette guerre, plus longue que décisive, qui causait tant de malheurs, un autre événement fut le salut de la France. Le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, mérita ce nom en pardonnant enfin au roi la mort de son père, et en s’unissant avec le chef de sa maison contre l’étranger. Il fit à la vérité payer cher au roi cet ancien assassinat, en se donnant par le traité toutes les villes sur la rivière de Somme, avec Roye, Montdidier, et le comté de Boulogne. Il se libéra de tout hommage pendant sa vie, et devint un très-grand souverain ; mais il eut la générosité de

  1. Voyez l’article Arc (Jeanne d’Arc) dans les Questions sur l’Encyclopédie. (Note de Voltaire.) — Les Questions sur l’Encyclopédie ont, depuis ce renvoi mis par Voltaire en 1775, été refondues dans le Dictionnaire philosophique. Mais avant de paraître en 1770 dans les Questions sur l’Encyclopédie, le morceau sur Jeanne d’Arc avait été ajouté par Voltaire, en 1769, à la suite de l’Essai sur les Mœurs, dans une réimpression des Éclaircissements historiques (voyez ces Éclaircissements dans les Mélanges, année 1763). (B.)