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LA FRANCE, DU TEMPS DE CHARLES VII.

délivrer de sa longue prison de Londres le duc d’Orléans, le fils de celui qui avait été assassiné dans Paris. Il paya sa rançon. On la fait monter à trois cent mille écus d’or : exagération ordinaire aux écrivains de ce temps. Mais cette conduite montre une grande vertu. Il y a eu toujours de belles âmes dans les temps les plus corrompus. La vertu de ce prince n’excluait pas en lui la volupté et l’amour des femmes, qui ne peut jamais être un vice que quand il conduit aux méchantes actions. C’est ce même Philippe qui avait, en 1430, institué la Toison d’or en l’honneur d’une de ses maîtresses. Il eut quinze bâtards, qui eurent tous du mérite. Sa cour était la plus brillante de l’Europe. Anvers, Bruges, faisaient un grand commerce, et répandaient l’abondance dans ses États. La France lui dut enfin sa paix et sa grandeur, qui augmentèrent toujours depuis, malgré les adversités, et malgré les guerres civiles et étrangères.

Charles VII regagna son royaume à peu près comme Henri IV le conquit cent cinquante ans après. Charles n’avait pas à la vérité ce courage brillant, cet esprit prompt et actif, et ce caractère héroïque de Henri IV ; mais obligé, comme lui, de ménager souvent ses amis et ses ennemis, de donner de petits combats, de surprendre des villes et d’en acheter, il entra dans Paris comme y entra depuis Henri IV, par intrigue et par force. Tous deux ont été déclarés incapables de posséder la couronne, et tous deux ont pardonné. Ils avaient encore une faiblesse commune, celle de se livrer trop à l’amour ; car l’amour influe presque toujours sur les affaires d’État chez les princes chrétiens, ce qui n’arrive point dans le reste du monde.

Charles ne fit son entrée dans Paris qu’en 1437. Ces bourgeois, qui s’étaient signalés par tant de massacres, allèrent au-devant de lui avec toutes les démonstrations d’affection et de joie qui étaient en usage chez ce peuple grossier. Sept filles représentant les sept péchés qu’on nomme mortels, et sept autres figurant les vertus théologales et cardinales, avec des écriteaux, le reçurent vers la porte Saint-Denis. Il s’arrêtait quelques minutes dans les carrefours à voir les mystères de la religion, que des bateleurs jouaient sur des tréteaux. Les habitants de cette capitale étaient alors aussi pauvres que rustiques : les provinces l’étaient davantage. Il fallut plus de vingt ans pour réformer l’État. Ce ne fut que vers l’an 1450 que les Anglais furent entièrement chassés de la France. Ils ne gardèrent que Calais et Guines, et perdirent pour jamais tous ces vastes domaines que les trois victoires de Crécy, de Poitiers, et d’Azincourt, ne purent