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SUITE DE L’ITALIE AU XVIIe SIÈCLE.

choisie pour sa retraite, dans un temps où ni la ville de Venise ni ce nom n’existaient pas encore. Voilà quelle est la vicissitude des choses humaines. Les Morlaques, surtout, passaient pour les peuples les plus farouches de la terre. C’est ainsi que la Sardaigne, la Corse, ne se ressentaient ni des mœurs ni de la culture de l’esprit, qui faisaient la gloire des autres Italiens : il en était comme de l’ancienne Grèce, qui voyait auprès de ses limites des nations encore sauvages.

Les chevaliers de Malte se soutenaient dans cette île, que Charles-Quint leur donna après que Soliman les eut chassés de Rhodes en 1523. Le grand-maître Villiers L’isle-Adam, ses chevaliers, et les Rhodiens attachés à eux, furent d’abord errants de ville en ville, à Messine, à Galiipoli, à Rome, à Viterbe. L’Isle-Adam alla jusqu’à Madrid implorer Charles-Quint ; il passa en France, en Angleterre, tâchant de relever partout les débris de son ordre qu’on croyait entièrement ruiné. Charles-Quint fit présent de Malte aux chevaliers en 1525, aussi bien que de Tripoli ; mais Tripoli leur fut bientôt enlevé par les amiraux de Soliman. Malte n’était qu’un rocher presque stérile : le travail y avait forcé autrefois la terre à être féconde, quand ce pays était possédé par les Carthaginois : car les nouveaux possesseurs y trouvèrent des débris de colonnes, de grands édifices de marbre, avec des inscriptions en langue punique. Ces restes de grandeur étaient des témoignages que le pays avait été florissant. Les Romains ne dédaignèrent pas de le prendre sur les Carthaginois ; les Arabes s’en emparèrent au IXe siècle, et le Normand Roger, comte de Sicile, l’annexa à la Sicile vers la fin du XIIe siècle. Quand Villiers L’Isle-Adam eut transporté le siége de son ordre dans cette île, le même Soliman, indigné de voir tous les jours ses vaisseaux exposés aux courses des ennemis qu’il avait cru détruire, voulut prendre Malte comme il avait pris Rhodes. Il envoya trente mille soldats devant cette petite place, qui n’était défendue que par sept cents chevaliers. (1565) Le grand-maître, Jean de La Valette, âgé de soixante et onze ans, soutint quatre mois le siége.

Les Turcs montèrent à l’assaut en plusieurs endroits différents ; on les repoussait avec une machine d’une nouvelle invention : c’étaient de grands cercles de bois, couverts de laine enduite d’eau-de-vie, d’huile, de salpêtre et de poudre à canon, et on jetait ces cercles enflammés sur les assaillants. Enfin, environ six mille hommes de secours étant arrivés de Sicile, les Turcs levèrent le siège. Le principal bourg de Malte, qui avait soutenu le plus