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DE LA RUSSIE AUX XVIe ET XVIIe SIÈCLES.

c’est que tous deux firent mourir leur fils. Jean Basilides, soupçonnant son fils d’une conspiration pendant le siége de Pleskou, le tua d’un coup de pique ; et Pierre ayant fait condamner le sien à la mort, ce jeune prince ne survécut pas à sa condamnation et à sa grâce.

L’histoire ne fournit guère d’événement plus extraordinaire que celui des faux Demetrius (Dmitri), qui agita si longtemps la Russie après la mort de Jean Basilides (1584)[1]. Ce czar laissa deux fils, l’un nommé Fédor ou Théodor, l’autre Demetri ou Demetrius. Fédor régna ; Demetri fut confiné dans un village nommé Uglis avec la czarine sa mère. Jusque-là les mœurs de cette cour n’avaient point encore adopté la politique des sultans et des anciens empereurs grecs, de sacrifier les princes du sang à la sûreté du trône. Un premier ministre, nommé Boris-Gudenou[2], dont Fédor avait épousé la sœur, persuada au czar Fédor qu’on ne pouvait bien régner qu’en imitant les Turcs, et en assassinant son frère. Ce premier ministre, Boris, envoya un officier dans le village où était élevé le jeune Demetri, avec ordre de le tuer. L’officier de retour dit qu’il avait exécuté sa commission, et demanda la récompense qu’on lui avait promise. Boris, pour toute récompense, fit tuer le meurtrier, afin de supprimer les preuves du crime. On prétend que Boris, quelque temps après, empoisonna le czar Fédor ; et quoiqu’il en fût soupçonné, il n’en monta pas moins sur le trône.

(1597) Il parut alors dans la Lithuanie un jeune homme qui prétendait être le prince Demetri échappé à l’assassin. Plusieurs personnes, qui l’avaient vu auprès de sa mère, le reconnaissaient à des marques certaines. Il ressemblait parfaitement au prince ; il montrait la croix d’or, enrichie de pierreries, qu’on avait attachée au cou de Demetri, à son baptême. Un palatin de Sandomir le reconnut d’abord pour le fils de Jean Basilides, et pour le véritable czar. Une diète de Pologne examina solennellement les preuves de sa naissance, et, les ayant trouvées incontestables, lui fournit une armée pour chasser l’usurpateur Boris, et pour reprendre la couronne de ses ancêtres.

Cependant on traitait en Russie Demetri d’imposteur, et même de magicien. Les Russes ne pouvaient croire que Demetri, pré-

  1. Toute l’histoire des Démétrius qui va suivre est une des plus jolies pages de Voltaire.
  2. Ou mieux encore, Godonow. (G. A.) — Dans l’Histoire de Russie, etc., chapitre iii de la première partie, Voltaire a écrit Boris Godonou ; l’Art de vérifier les dates écrit Godonouf. (B.)