Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
CHAPITRE CXC.

senté par des Polonais catholiques, et ayant deux jésuites pour conseil, pût être leur véritable roi. Les boyards le regardaient tellement comme un imposteur que, le czar Boris étant mort, ils mirent sans difficulté sur le trône le fils de Boris, âgé de quinze ans.

(1605) Cependant Demetri s’avançait en Russie avec l’armée polonaise. Ceux qui étaient mécontents du gouvernement moscovite se déclarèrent en sa faveur. Un général russe, étant en présence de l’armée de Demetri, s’écria : « Il est le seul légitime héritier de l’empire », et passa de son côté avec les troupes qu’il commandait. La révolution fut bientôt pleine et entière ; Demetri ne fut plus un magicien. Le peuple de Moscou courut au château, et traîna en prison le fils de Boris et sa mère. Demetri fut proclamé czar sans aucune contradiction. On publia que le jeune Boris et sa mère s’étaient tués en prison ; il est plus vraisemblable que Demetri les fit mourir.

La veuve de Jean Basilides, mère du vrai ou faux Demetri, était depuis longtemps reléguée dans le nord de la Russie ; le nouveau czar l’envoya chercher dans une espèce de carrosse aussi magnifique qu’on en pouvait avoir alors. Il alla plusieurs milles au-devant d’elle ; tous deux se reconnurent avec des transports et des larmes, en présence d’une foule innombrable ; personne alors dans l’empire ne douta que Demetri ne fût le véritable empereur. (1606) Il épousa la fille du palatin de Sandomir, son premier protecteur ; et ce fut ce qui le perdit.

Le peuple vit avec horreur une impératrice catholique, une cour composée d’étrangers, et surtout une église qu’on bâtissait pour des jésuites. Demetri dès lors ne passa plus pour un Russe.

Un boyard, nommé Zuski, se mit à la tête de plusieurs conjurés, au milieu des fêtes qu’on donnait pour le mariage du czar : il entre dans le palais, le sabre dans une main et une croix dans l’autre. On égorge la garde polonaise : Demetri est chargé de chaînes. Les conjurés amènent devant lui la czarine, veuve de Jean Basilides, qui l’avait reconnu si solennellement pour son fils. Le clergé l’obligea de jurer sur la croix, et de déclarer enfin si Demetri était son fils ou non. Alors, soit que la crainte de la mort forçât cette princesse à un faux serment et l’emportât sur la nature, soit qu’en effet elle rendît gloire à la vérité, elle déclara en pleurant que le czar n’était point son fils ; que le véritable Demetri avait été, en effet, assassiné dans son enfance, et qu’elle n’avait reconnu le nouveau czar qu’à l’exemple de tout le peuple, et pour venger le sang de son fils sur la famille des assassins. On prétendit alors que Demetri était un homme du peuple,