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DE L’EMPIRE OTTOMAN AU XVIIe SIÈCLE.

le char du Soleil et ses quatre chevaux inventés par les poëtes. Mais sans nous arrêter à ces recherches, et sans examiner si les livres hébreux ont été écrits après Alexandre, et après que les facteurs juifs eurent appris quelque chose de la mythologie grecque dans Alexandrie, c’est assez de remarquer que les Juifs attendent Élie de temps immémorial. Aujourd’hui même encore, quand ces malheureux circoncisent un enfant avec cérémonie, ils mettent dans la salle un fauteuil pour Élie, en cas qu’il veuille les honorer de sa présence. Élie doit amener le grand sabbat, le grand messie, et la révolution universelle. Cette idée a même passé chez les chrétiens. Élie doit venir annoncer la fin de ce monde et un nouvel ordre de choses. Presque tous les fanatiques attendent un Élie. Les prophètes des Cévennes, qui allèrent à Londres ressusciter des morts en 1707, avaient vu Élie, ils lui avaient parlé ; il devait se montrer au peuple. Aujourd’hui même ce ramas de convulsionnaires qui a infecté Paris pendant quelques années, annonçait Élie à la populace des faubourgs. Le magistrat de la police fit, en 1724, enfermer à Bicêtre deux Élies qui se battaient à qui serait reconnu pour le véritable. Il fallait donc absolument que Sabatei-Sevi fût annoncé chez ses frères par un Élie, sans quoi sa mission aurait été traitée de chimérique.

Il trouva un rabbin, nommé Nathan, qui crut qu’il y aurait assez à gagner à jouer ce second rôle. Sabatei déclara aux Juifs de l’Asie Mineure et de Syrie que Nathan était Élie, et Nathan assura que Sabatei était le messie, le Shilo, l’attente du peuple saint.

Ils firent de grandes œuvres tous deux à Jérusalem, et y réformèrent la synagogue. Nathan expliquait les prophètes, et faisait voir clairement qu’au bout de l’année le sultan devait être détrôné, et que Jérusalem devait devenir la maîtresse du monde. Tous les Juifs de la Syrie furent persuadés. Les synagogues retentissaient des anciennes prédictions. On se fondait sur ces paroles d’Isaïe[1] : « Levez-vous, Jérusalem, levez-vous dans votre force et dans votre gloire ; il n’y aura plus d’incirconcis ni d’impurs au milieu de vous. » Tous les rabbins avaient à la bouche ce passage[2] : « Ils feront venir vos frères de tous les climats à la montagne sainte de Jérusalem, sur des chars, sur des litières, sur des mulets, sur des charrettes. » Enfin cent passages que les femmes et les enfants répétaient nourrissaient leur espérance. Il n’y avait point de Juif

  1. Isaie, lii 1.
  2. Ibid., lxvi, 20.