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CHAPITRE CXCIII.

arbitraire d’une grande partie de la terre, parce qu’il peut faire impunément quelques crimes dans sa maison, et ordonner le meurtre de quelques esclaves ; mais il ne peut persécuter sa nation, et il est plus souvent opprimé qu’oppresseur.

Les mœurs des Turcs offrent un grand contraste : ils sont à la fois féroces et charitables, intéressés et ne commettant presque jamais de larcin ; leur oisiveté ne les porte ni au jeu, ni à l’intempérance ; très-peu usent du privilége d’épouser plusieurs femmes, et de jouir de plusieurs esclaves ; et il n’y a pas de grande ville en Europe où il y ait moins de femmes publiques qu’à Constantinople. Invinciblement attachés à leur religion, ils haïssent, ils méprisent les chrétiens : ils les regardent comme des idolâtres, et cependant ils les souffrent, ils les protègent dans tout leur empire et dans la capitale : on permet aux chrétiens de faire leurs processions dans le vaste quartier qu’ils ont à Constantinople, et on voit quatre janissaires précéder ces processions dans les rues.

Les Turcs sont fiers, et ne connaissent point la noblesse : ils sont braves, et n’ont point l’usage du duel ; c’est une vertu qui leur est commune avec tous les peuples de l’Asie, et cette vertu vient de la coutume de n’être armés que quand ils vont à la guerre. C’était aussi l’usage des Grecs et des Romains ; et l’usage contraire ne s’introduit chez les chrétiens que dans les temps de barbarie et de chevalerie, où l’on se fit un devoir et un honneur de marcher à pied avec des éperons aux talons, et de se mettre à table ou de prier Dieu avec une longue épée au côté. La noblesse chrétienne se distingua par cette coutume, bientôt suivie, comme on l’a déjà dit, par le plus vil peuple, et mise au rang de ces ridicules dont on ne s’aperçoit point parce qu’on les voit tous les jours.

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CHAPITRE CXCIII.


De la Perse, de ses mœurs, de sa dernière révolution, et de Thamas
Kouli-Kan, ou Sha-Nadir.


La Perse était alors plus civilisée que la Turquie ; les arts y étaient plus en honneur, les mœurs plus douces, la police géné-