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DE LA PERSE, DE SES MŒURS, ETC.

rale bien mieux observée. Ce n’est pas seulement un effet du climat ; les Arabes y avaient cultivé les arts cinq siècles entiers. Ce furent ces Arabes qui bâtirent Ispahan, Chiras, Casbin, Cachan, et plusieurs autres grandes villes : les Turcs, au contraire, n’en ont bâti aucune, et en ont laissé plusieurs tomber en ruine. Les Tartares subjuguèrent deux fois la Perse après le règne des califes arabes, mais ils n’y abolirent point les arts ; et quand la famille des Sophis régna, elle y porta les mœurs douces de l’Arménie, où cette famille avait habité longtemps. Les ouvrages de la main passaient pour être mieux travaillés, plus finis en Perse qu’en Turquie. Les sciences y avaient de bien plus grands encouragements ; point de ville dans laquelle il n’y eût plusieurs colléges fondés où l’on enseignait les belles-lettres. La langue persane, plus douce et plus harmonieuse que la turque, a été féconde en poésies agréables. Les anciens Grecs, qui ont été les premiers précepteurs de l’Europe, sont encore ceux des Persans. Ainsi leur philosophie était, au XVIe et au XVIIe siècle, à peu près au même état que la nôtre. Ils tenaient l’astrologie de leur propre pays, et ils s’y attachaient plus qu’aucun peuple de la terre, comme nous l’avons déjà indiqué[1]. La coutume de marquer de blanc les jours heureux, et de noir les jours funestes, s’est conservée chez eux avec scrupule. Elle était très-familière aux Romains, qui l’avaient prise des nations asiatiques. Les paysans de nos provinces ont moins de foi aux jours propres à semer et à planter indiqués dans leurs almanachs que les courtisans d’Ispahan n’en avaient aux heures favorables ou dangereuses pour les affaires. Les Persans étaient, comme plusieurs de nos nations, pleins d’esprit et d’erreurs. Quelques voyageurs ont assuré que ce pays n’était pas aussi peuplé qu’il pourrait l’être. Il est très-vraisemblable que du temps des mages il était plus peuplé et plus fertile. L’agriculture était alors un point de religion : c’est de toutes les professions celle qui a le plus besoin d’une nombreuse famille, et qui, en conservant la santé et la force, met le plus aisément l’homme en état de former et d’entretenir plusieurs enfants.

Cependant Ispahan, avant les dernières révolutions, était aussi grand et aussi peuplé que Londres. On comptait dans Tauris plus de cinq cent mille habitants. On comparait Cachan à Lyon. Il est impossible qu’une ville soit bien peuplée si les campagnes ne le sont pas, à moins que cette ville ne subsiste uniquement du commerce étranger. On n’a que des idées bien vagues sur la popula-

  1. Chapitre clviii.