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DE LA PERSE, DE SES MŒURS, ETC.

dans toute la terre les troupes divisées en plusieurs petits corps affermir le trône, et les troupes réunies en un grand corps disposer du trône et le renverser. Sha-Abbas transporta des peuples d’un pays dans un autre ; c’est ce que les Turcs n’ont jamais fait. Ces colonies réussissent rarement. De trente mille familles chrétiennes que Sha-Abbas transporta de l’Arménie et de la Géorgie dans le Mazanderan, vers la mer Caspienne, il n’en est resté que quatre à cinq cents ; mais il construisit des édifices publics, il rebâtit des villes, il fit d’utiles fondations ; il reprit sur les Turcs tout ce que Soliman et Sélim avaient conquis sur la Perse ; il chassa les Portugais d’Ormus, et toutes ces grandes actions lui méritèrent le nom de Grand ; il mourut en 1629. Son fils, Sha-Sophi, plus cruel que Sha-Abbas, mais moins guerrier, moins politique, abruti par la débauche, eut un règne malheureux. Le Grand Mogol Sha-Gean enleva Candahar à la Perse, et le sultan Amurat IV prit d’assaut Bagdad en 1638.

Depuis ce temps vous voyez la monarchie persane décliner sensiblement, jusqu’à ce qu’enfin la mollesse de la dynastie des Sophis a causé sa ruine entière. Les eunuques gouvernaient le sérail et l’empire sous Muza-Sophi, et sous Hussein, le dernier de cette race.

C’est le comble de l’avilissement dans la nature humaine, et l’opprobre de l’Orient, de dépouiller les hommes de leur virilité ; et c’est le dernier attentat du despotisme de confier le gouvernement à ces malheureux. Partout où leur pouvoir a été excessif, la décadence et la ruine sont arrivées. La faiblesse de Sha-Hussein faisait tellement languir l’empire, et la confusion le troublait si violemment par les factions des eunuques noirs et des eunuques blancs, que si Myri-Veis[1] et ses aguans n’avaient pas détruit cette dynastie, elle l’eût été par elle-même. C’est le sort de la Perse que toutes ses dynasties commencent par la force et finissent par la faiblesse. Presque toutes ces familles ont eu le sort de Serdan-pull, que nous nommons Sardanapale.

Ces aguans, qui ont bouleversé la Perse au commencement du siècle où nous sommes, étaient une ancienne colonie de Tartares habitant les montagnes de Candahar, entre l’Inde et la Perse. Presque toutes les révolutions qui ont changé le sort de ce pays-là sont arrivées par des Tartares. Les Persans avaient recon-

  1. C’est le même personnage que Voltaire appelle Mirwits dans son deuxième Discours sur l’homme (tome IX, page 390). Voyez aussi le chapitre xvi de la seconde partie de l’Histoire de Russie sous Pierre le Grand.