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CHARLEMAGNE.

tué principalement pour retenir les Saxons dans le christianisme et dans l’obéissance ; bientôt après cette inquisition militaire s’étendit dans toute l’Allemagne, Les juges étaient nommés secrètement par l’empereur ; ensuite ils choisirent eux-mêmes leurs associés sous le serment d’un secret inviolable ; on ne les connaissait point ; des espions, liés aussi par le serment, faisaient les informations. Les juges prononçaient sans jamais confronter l’accusé et les témoins, souvent sans les interroger ; le plus jeune des juges faisait l’office de bourreau. Qui croirait que ce tribunal d’assassins ait duré jusqu’à la fin du règne de Frédéric III ! cependant rien n’est plus vrai ; et nous regardons Tibère comme un méchant homme ! et nous prodiguons des éloges à Charlemagne.

Si l’on veut savoir les coutumes du temps de Charlemagne dans le civil, le militaire, et l’ecclésiastique, on les trouve dans l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations[1].

793. Charles, devenu voisin des Huns, devient par conséquent leur ennemi naturel. Il lève des troupes contre eux, et ceint l’épée à son fils Louis, qui n’avait que quatorze ans. Il le fait ce qu’on appelait alors miles, c’est-à-dire il lui fait apprendre la guerre ; mais ce n’est pas le créer chevalier, comme quelques auteurs l’ont cru. La chevalerie ne s’établit que longtemps après. Il défait encore les Huns sur le Danube et sur le Raab.

Charles assemble des évêques pour juger la doctrine d’Élipand, que les historiens disent archevêque de Tolède : il n’y avait point d’archevêque encore ; ce titre n’est que du xe siècle. Mais il faut savoir que les musulmans vainqueurs laissèrent leur religion aux vaincus ; qu’ils ne croyaient pas les chrétiens dignes d’être musulmans, et qu’ils se contentaient de leur imposer un léger tribut.

Cet évêque Élipand imaginait, avec un Félix d’Urgel, que Jésus-Christ, en tant qu’homme, était fils adoptif de Dieu, et en tant que Dieu, fils naturel : il est difficile de savoir par soi-même ce qui en est. Il faut s’en rapporter aux juges, et les juges le condamnèrent.

Pendant que Charles remporte des victoires, fait des lois, assemble des évêques, on conspire contre lui. Il avait un fils d’une de ses femmes ou concubines, qu’on nommait Pepin le Bossu, pour le distinguer de son autre fils Pepin, roi d’Italie, Les enfants qu’on nomme aujourd’hui bâtards, et qui n’héritent point, pouvaient hériter alors, et n’étaient point réputés bâtards. Le

  1. Chapitres xvii à xxii, tome XI, pages 267 et suivantes.