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FRÉDÉRIC Ier, DIT BARBEROUSSE.

porté au comble de la grandeur, il avait d’autant plus d’élévation dans l’esprit qu’il était parvenu d’un état plus abject. Il voulait couronner un vassal, et craignait de se donner un maître. Les troubles précédents avaient introduit la coutume que, quand l’empereur venait se faire sacrer, le pape se fortifiait, le peuple se cantonnait ; et l’empereur commençait par jurer que le pape ne serait ni tué, ni mutilé, ni dépouillé.

Le saint-siége était protégé, comme on l’a vu[1], par le roi de Sicile et de Naples, devenu voisin et vassal dangereux.

L’empereur et le pape se ménagent l’un l’autre. Adrien, enfermé dans la forteresse de Città-di-Castello, s’accorde pour le couronnement, comme on capitule avec son ennemi. Un chevalier armé de toutes pièces vient lui jurer sur l’Évangile que ses membres et sa vie seront en sûreté ; et l’empereur lui livre ce fameux Arnaud de Brescia qui avait soulevé le peuple romain contre le pontificat, et qui avait été sur le point de rétablir la république romaine. Arnaud est brûlé à Rome comme un hérétique, et comme un républicain que deux souverains prétendants au despotisme s’immolaient.

Le pape va au-devant de l’empereur, qui devait, selon le nouveau cérémonial[2], lui baiser les pieds, lui tenir l’étrier, et conduire sa haquenée blanche l’espace de neuf pas romains. L’empereur ne faisait point de difficulté de baiser les pieds, mais il ne voulait point de la bride. Alors les cardinaux s’enfuient dans Città-di-Castello, comme si Frédéric Barberousse avait donné le signal d’une guerre civile. On lui fit voir que Lothaire II avait accepté ce cérémonial d’humilité chrétienne, il s’y soumit enfin ; et comme il se trompait d’étrier, il dit qu’il n’avait point appris le métier de palefrenier. C’était en effet un grand triomphe pour l’Église de voir un empereur servir de palefrenier à un mendiant, fils d’un mendiant, devenu évêque de cette Rome où cet empereur devait commander.

Les députés du peuple romain, devenus aussi plus hardis depuis que tant de villes d’Italie avaient sonné le tocsin de la liberté, viennent dire à Frédéric : « Nous vous avons fait notre citoyen et notre prince, d’étranger que vous étiez, etc. » Frédéric leur impose silence, et leur dit : « Charlemagne et Othon vous ont conquis ; je suis votre maître, etc. »

Frédéric est sacré empereur le 18 juin dans Saint-Pierre.

  1. Page 312.
  2. Voyez page 311.