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ANNALES DE L’EMPIRE.

Quoique l’Allemagne fût partagée, le parti de Louis de Bavière est tellement le plus fort que le nouvel empereur et son vieux père, au lieu de soutenir leurs droits en Allemagne, vont se battre en France contre Édouard d’Angleterre pour Philippe de Valois. Le vieux roi Jean de Bohême est tué à la fameuse bataille de Crécy, le 25 ou 26 auguste, gagnée par les Anglais. Charles s’en retourne en Bohême sans troupes et sans argent : il est le premier roi de Bohême qui se soit fait couronner par l’archevêque de Prague, et c’est pour ce couronnement que l’évêché de Prague, jusque-là suffragant de Mayence, fut érigé en archevêché.

1347. Alors Louis de Bavière et l’anti-empereur Charles se font la guerre. Charles de Luxembourg est battu partout.

Il se passait alors une scène singulière en Italie. Nicolas Rienzi, notaire à Rome, homme éloquent, hardi, et persuasif, voyant Rome abandonnée des empereurs et des papes qui n’osaient y retourner, s’était fait tribun du peuple. Il régna quelques mois[1] d’une manière absolue ; mais le peuple, qui avait élevé cette idole, la détruisit. Rome depuis longtemps ne semblait plus faite pour des tribuns ; mais on voit toujours cet ancien amour de la liberté qui produit des secousses et qui se débat dans ses chaînes. Rienzi s’intitulait Chevalier candidat du Saint-Esprit, sévère et clément libérateur de Rome, zélateur de l’Italie, amateur de l’univers, et tribun auguste. Ces beaux titres prouvent qu’il était un enthousiaste, et que par conséquent il pouvait séduire la vile populace, mais qu’il était indigne de commander à des hommes d’esprit. Il voulait en vain imiter Gracchus, comme Crescence avait voulu vainement imiter Brutus.

Il est certain que Rome alors était une république, mais faible, n’ayant de l’ancienne république romaine que les factions. Son ancien nom faisait toute sa gloire.

Il est difficile de dire s’il y eut jamais un temps plus malheureux depuis les inondations des barbares au ve siècle. Les papes étaient chassés de Rome ; la guerre civile désolait toute l’Allemagne, les guelfes et les gibelins déchiraient l’Italie ; la reine de Naples, Jeanne, après avoir étranglé son mari, fut étranglée elle-même ; Édouard III ruinait la France où il voulait régner ; et enfin la peste, comme on le verra[2], fit périr une partie des hommes échappés au glaive et à la misère.

  1. De mai à décembre 1347, puis fut obligé de s’enfuir, reprit le pouvoir en 1354, et fut assassiné le 8 octobre ; voyez tome XI, page 534.
  2. Année 1350.