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GOUVERNEMENT ET MŒURS DE L’ESPAGNE.

provinces de Hollande et de Zélande en avaient plus que lui : leur flotte lui enlevait les principales îles Moluques (1606), et surtout Amboine, qui produit les plus précieuses épiceries, dont les Hollandais sont restés en possession. Enfin ces sept petites provinces rendaient sur terre les forces de cette vaste monarchie inutiles, et sur mer elles étaient plus puissantes.

(1609) Philippe III, en paix avec la France, avec l’Angleterre, n’ayant la guerre qu’avec cette république naissante, est obligé de conclure avec elle une trêve de douze années, de lui laisser tout ce qui était en sa possession, de lui assurer la liberté du commerce dans les Grandes-Indes, et de rendre enfin à la maison de Nassau ses biens situés dans les terres de la monarchie. Henri IV eut la gloire de conclure cette trêve par ses ambassadeurs. C’est d’ordinaire le parti le plus faible qui désire une trêve, et cependant le prince Maurice ne la voulait pas. Il fut plus difficile de l’y faire consentir que d’y résoudre le roi d’Espagne.

(1609) L’expulsion des Maures fit bien plus de tort à la monarchie. Philippe III ne pouvait venir à bout d’un petit nombre de Hollandais, et il put malheureusement chasser six à sept cent mille Maures de ses États. Ces restes des anciens vainqueurs de l’Espagne étaient la plupart désarmés, occupés du commerce et de la culture des terres, bien moins formidables en Espagne que les protestants ne l’étaient en France, et beaucoup plus utiles, parce qu’ils étaient laborieux dans le pays de la paresse. On les forçait à paraître chrétiens ; l’Inquisition les poursuivait sans relâche. Cette persécution produisit quelques révoltes, mais faibles et bientôt apaisées (1609). Henri IV voulut prendre ces peuples sous sa protection ; mais ses intelligences avec eux furent découvertes par la trahison d’un commis du bureau des affaires étrangères. Cet incident hâta leur dispersion. On avait déjà pris la résolution de les chasser ; ils proposèrent en vain d’acheter de deux millions de ducats d’or la permission de respirer l’air de l’Espagne. Le conseil fut inflexible : vingt mille de ces proscrits se réfugièrent dans des montagnes ; mais n’ayant pour armes que des frondes et des pierres, ils y furent bientôt forcés. On fut occupé, deux années entières, à transporter des citoyens hors du royaume, et à dépeupler l’État. Philippe se priva ainsi des plus laborieux de ses sujets, au lieu d’imiter les Turcs, qui savent contenir les Grecs, et qui sont bien éloignés de les forcer à s’établir ailleurs.

La plus grande partie des Maures espagnols se réfugièrent en Afrique, leur ancienne patrie ; quelques-uns passèrent en France, sous la régence de Marie de Médicis : ceux qui ne voulurent pas