Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
449
FRÉDÉRIC D’AUTRICHE.

que le dauphin remporta près de Bâle ; mais s’il avait gagné une si grande bataille, comment put-il n’obtenir qu’à peine la permission d’entrer dans Bâle avec ses domestiques ? Ce qui est certain, c’est que les Suisses ne perdirent point la liberté, pour laquelle ils combattaient, et que cette liberté se fortifia de jour en jour, malgré leurs dissensions.

Ce n’était pas contre les Suisses qu’il fallait marcher alors : c’était contre les Turcs. Amurat II, après avoir abdiqué l’empire, l’avait repris à la prière des janissaires. Ce Turc, qu’on peut compter parmi les philosophes, était compté parmi les héros. Il poussait ses conquêtes en Hongrie. Le roi de Pologne Vladislas, le second des Jagellons, venait d’être élu par les Hongrois, au mépris du jeune Ladislas d’Autriche, élevé toujours chez l’empereur. Il venait de conclure avec Amurat la paix la plus solennelle que jamais les chrétiens eussent faite avec les musulmans.

Amurat et Vladislas la jurèrent tous deux solennellement, l’un sur l’Alcoran, l’autre sur l’Évangile.

[1]Le cardinal Julien Césarini, légat du pape en Allemagne, homme fameux par ses poursuites contre les partisans de Jean Hus, par le concile de Bâle, auquel il avait d’abord présidé, par la croisade qu’il prêchait contre les Turcs, crut que c’était une action sainte de violer un serment fait à des Turcs. Cette piété lui parut d’autant plus convenable que le sultan était alors occupé à réprimer des séditions en Asie. Il était du devoir des catholiques de ne pas tenir la foi aux hérétiques ; donc c’était une plus grande vertu d’être perfide envers les musulmans, qui ne croient qu’en Dieu. Le pape Eugène IV, pressé par le légat, ordonna au roi de Hongrie Vladislas d’être chrétiennement parjure.

Tous les chefs se laissèrent entraîner au torrent, et surtout Jean Corvin Huniade, ce fameux général des armées hongroises, qui combattit si souvent Amurat et Mahomet II, Vladislas, séduit par de fausses espérances et par une morale encore plus fausse, surprit les terres du sultan. Il le rencontra bientôt vers le Pont-Euxin, dans ce pays qu’on nomme aujourd’hui la Bulgarie, et qui était autrefois la Mœsie. La bataille se donna près de la ville de Varne.

Amurat portait dans son sein le traité de paix qu’on venait de

  1. Les premières éditions contiennent, ici et ailleurs, des variantes d’autant plus inutiles à relever aujourd’hui que le passage qu’on lisait ici a été transporté par l’auteur dans l’Essai sur les Mœurs. (B.) — Voyez tome XII, pages 95-96.