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DE RODOLPHE II, MATHIAS, ET FERDINAND II.

l’unique cause de la mort de Henri IV. Il allait marcher au secours de la ligue protestante. Ce prince victorieux, suivi de troupes aguerries, des plus grands généraux et des meilleurs ministres de l’Europe, était près de profiter de la faiblesse de Rodolphe et de Philippe III.

La mort de Henri IV, qui fit avorter cette grande entreprise, ne rendit pas Rodolphe plus heureux. Il avait cédé la Hongrie, l’Autriche, la Moravie, à son frère Mathias, lorsque le roi de France se préparait à marcher contre lui ; et lorsqu’il fut délivré d’un ennemi si redoutable, il fut encore obligé de céder la Bohême à ce même Mathias ; et en conservant le titre d’empereur, il vécut en homme privé.

Tout se fit sans lui sous son empire : il ne s’était pas même mêlé de la singulière affaire de Gerhard de Truchsès, électeur de Cologne, qui voulut garder son archevêché et sa femme, et qui fut chassé de son électorat par les armes de ses chanoines et de son compétiteur. Cette inaction singulière venait d’un principe plus singulier encore dans un empereur. La philosophie qu’il cultivait lui avait appris tout ce qu’on pouvait savoir alors, excepté à remplir ses devoirs de souverain. Il aimait beaucoup mieux s’instruire avec le fameux Tycho-Brahé que tenir les États de Hongrie et de Bohême.

Les fameuses tables astronomiques de Tycho-Brahé et de Kepler portent le nom de cet empereur ; elles sont connues sous le nom de Tables Rodolphines, comme celles qui furent composées au XIIe siècle, en Espagne, par deux Arabes, portèrent le nom du roi Alfonse. Les Allemands se distinguaient principalement dans ce siècle par les commencements de la véritable physique. Ils ne réussirent jamais dans les arts de goût comme les Italiens ; à peine même s’y adonnèrent-ils. Ce n’est jamais qu’aux esprits patients et laborieux qu’appartient le don de l’invention dans les sciences naturelles. Ce génie se remarquait ; depuis longtemps en Allemagne, et s’étendait à leurs voisins du Nord. Tycho-Brahé était Danois. Ce fut une chose bien extraordinaire, surtout dans ce temps-là, de voir un gentilhomme danois dépenser cent mille écus de son bien à bâtir, avec le secours de Frédéric II, roi de Danemark, non-seulement un observatoire, mais une petite ville habitée par plusieurs savants : elle fut nommée Uranibourg, la ville du ciel. Tycho-Brahé avait, à la vérité, la faiblesse commune d’être persuadé de l’astrologie judiciaire ; mais il n’en était ni moins bon astronome, ni moins habile mécanicien. Sa destinée fut celle des grands hommes : il fut persé-