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CHAPITRE CLXXX.

lemy ; il fut pourtant aussi général et aussi distingué par toutes les horreurs qui peuvent signaler un tel fanatisme. Mais cette dernière conspiration de la moitié d’un peuple contre l’autre, pour cause de religion, se faisait dans une île alors peu connue des autres nations ; elle ne fut point autorisée par des personnages aussi considérables qu’une Catherine de Médicis, un roi de France, un duc de Guise : les victimes immolées n’étaient pas aussi illustres, quoique aussi nombreuses. La scène ne fut pas moins souillée de sang ; mais le théâtre n’attirait pas les yeux de l’Europe. Tout retentit encore des fureurs de la Saint-Barthélemy, et les massacres d’Irlande sont presque oubliés.

Si on comptait les meurtres que le fanatisme a commis depuis les querelles d’Athanase et d’Arius jusqu’à nos jours, on verrait que ces querelles ont plus servi que les combats à dépeupler la terre : car dans les batailles on ne détruit que l’espèce mâle, toujours plus nombreuse que la femelle ; mais dans les massacres faits pour la religion, les femmes sont immolées commes les hommes.

Pendant qu’une partie du peuple irlandais égorgeait l’autre, le roi Charles ler était en Écosse, à peine pacifiée, et la chambre des communes gouvernait l’Angleterre. Ces catholiques irlandais, pour se justifier de ce massacre, prétendirent avoir reçu une commission du roi même pour prendre les armes, et Charles, qui demandait du secours contre eux à l’Écosse et à l’Angleterre, se vit accusé du crime même qu’il voulait punir. Le parlement d’Écosse le renvoie avec raison au parlement de Londres, parce que l’Irlande appartient en effet à l’Angleterre, et non pas à l’Écosse. Il retourne donc à Londres. La chambre basse, croyant ou feignant de croire qu’il a part en effet à la rébellion des Irlandais, n’envoie que peu d’argent et peu de troupes dans cette île, pour ne pas dégarnir le royaume, et fait au roi la remontrance la plus terrible.

Elle lui signifie « qu’il faut désormais qu’il n’ait pour conseil que ceux que le parlement lui nommera ; et en cas de refus elle le menace de prendre des mesures ». Trois membres de la chambre allèrent lui présenter à genoux cette requête qui lui déclarait la guerre. Olivier Cromwell était déjà dans ce temps-là admis dans la chambre basse, et il dit que, « si ce projet de remontrance ne passait pas dans la chambre, il vendrait le peu qu’il avait de bien, et se retirerait de l’Angleterre ».

Ce discours prouve qu’il était alors fanatique de la liberté, que son ambition développée foula depuis aux pieds.