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CHAPITRE CLXXX.

qui servaient dans cette île. Cette politique lui réussit. Il eut à son service non-seulement beaucoup d’Anglais de l’armée d’Irlande, mais encore un grand nombre d’Irlandais, qui vinrent grossir son armée. Alors le parlement l’accusa hautement d’avoir été l’auteur de la rébellion d’Irlande et du massacre. Malheureusement ces troupes nouvelles, sur lesquelles il devait tant compter, furent entièrement défaites par le lord Fairfax, l’un des généraux parlementaires (1644) ; et il ne resta au roi que la douleur d’avoir donné à ses ennemis le prétexte de l’accuser d’être complice des Irlandais.

Il marchait d’infortune en infortune. Le prince Robert, ayant soutenu longtemps l’honneur des armes royales, est battu auprès d’York, et son armée est dissipée par Manchester et Fairfax (1644). Charles se retire dans Oxford, où il est bientôt assiégé. La reine fuit en France. Le danger du roi excite, à la vérité, ses amis à faire de nouveaux efforts. Le siége d’Oxford fut levé. Il rassembla des troupes ; il eut quelques succès. Cette apparence de fortune ne dura pas. Le parlement était toujours en état de lui opposer une armée plus forte que la sienne. Les généraux Essex, Manchester, et Waller, attaquèrent Charles à Newbury, sur le chemin d’Oxford. Cromwell était colonel dans leur armée ; il s’était déjà fait connaître par des actions d’une valeur extraordinaire. On a écrit qu’à cette bataille de Newbury (27 octobre 1644), le corps que Manchester commandait ayant plié, et Manchester lui-même étant entraîné dans la fuite, Cromwell courut à lui, tout blessé, et lui dit : « Vous vous trompez, milord ; ce n’est pas de ce côté que sont les ennemis » ; qu’il le ramena au combat, et qu’enfin on ne dut qu’à Cromwell le succès de cette journée. Ce qui est certain, c’est que Cromwell, qui commençait à avoir autant de crédit dans la chambre des communes qu’il avait de réputation dans l’armée, accusa son général de n’avoir pas fait son devoir.

Le penchant des Anglais pour des choses inouïes fit éclater alors une étrange nouveauté, qui développa le caractère de Cromwell, et qui fut à la fois l’origine de sa grandeur, de la chute du parlement et de l’épiscopat, du meurtre du roi, et de la destruction de la monarchie. La secte des indépendants commençait à faire quelque bruit. Les presbytériens les plus emportés s’étaient jetés dans ce parti : ils ressemblaient aux quakers, en ce qu’ils ne voulaient d’autres prêtres qu’eux-mêmes, ni d’autre explication de l’Évangile que celle de leurs propres lumières ; ils différaient d’eux en ce qu’ils étaient aussi turbulents que les quakers étaient pacifiques. Leur projet chimérique était l’égalité