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CHAPITRE CLXXX.

dispersée. Toutes les villes se rendirent à Fairfax et à Cromwell. Le jeune prince de Galles, qui fut depuis Charles II, partageant de bonne heure les infortunes de son père, fut obligé de s’enfuir dans la petite île de Scilly. Le roi se retira enfin dans Oxford avec les débris de son armée, et demanda au parlement la paix, qu’on était bien loin de lui accorder. La chambre des communes insultait à sa disgrâce. Le général avait envoyé à cette chambre la cassette du roi, trouvée sur le champ de bataille, remplie de lettres de la reine sa femme. Quelques-unes de ces lettres n’étaient que des expressions de tendresse et de douleur. La chambre les lut avec ces railleries amères qui sont le partage de la férocité.

Le roi était dans Oxford, ville presque sans fortification, entre l’armée victorieuse des Anglais et celle des Écossais, payée par les Anglais. Il crut trouver sa sûreté dans l’armée écossaise, moins acharnée contre lui. Il se livra entre ses mains ; mais la chambre des communes ayant donné à l’armée écossaise deux cent mille livres sterling d’arrérages, et lui en devant encore autant, le roi cessa dès lors d’être libre.

(16 février 1645) Les Écossais le livrèrent au commissaire du parlement anglais, qui d’abord ne sut comment il devait traiter son roi prisonnier. La guerre paraissait finie : l’armée d’Écosse, payée, retournait en son pays ; le parlement n’avait plus à craindre que sa propre armée qui l’avait rendu victorieux. Cromwell et ses indépendants y étaient les maîtres. Ce parlement, ou plutôt la chambre des communes, toute-puissante encore à Londres, et sentant que l’armée allait l’être, voulut se débarrasser de cette armée devenue si dangereuse à ses maîtres : elle vota d’en faire marcher une partie en Irlande, et de licencier l’autre. On peut bien croire que Cromwell ne le souffrit pas. C’était là le moment de la crise : il forma un conseil d’officiers, et un autre de simples soldats nommés agitateurs, qui d’abord firent des remontrances, et qui bientôt donnèrent des lois. Le roi était entre les mains de quelques commissaires du parlement, dans un château nommé Holmby. Des soldats du conseil des agitateurs allèrent l’enlever au parlement dans ce château, et le conduisirent à Newmarket.

Après ce coup d’autorité, l’armée marcha vers Londres. Cromwell, voulant mettre dans ses violences des formes usitées, fit accuser par l’armée onze membres du parlement, ennemis ouverts du parti indépendant. Ces membres n’osèrent plus, dès ce moment, rentrer dans la chambre. La ville de Londres ouvrit enfin les yeux, mais trop tard et trop inutilement, sur tant de malheurs ; elle voyait un parlement oppresseur opprimé par l’ar-