Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
DES MALHEURS ET DE LA MORT DE CHARLES Ier.

mée, son roi captif entre les mains des soldats, ses citoyens exposés. Le conseil de ville assemble ses milices, on entoure à la hâte Londres de retranchements ; mais l’armée étant arrivée aux portes, Londres les ouvrit, et se tut. Le parlement remit la Tour au général Fairfax (1647), remercia l’armée d’avoir désobéi, et lui donna de l’argent.

Il restait toujours à savoir ce qu’on ferait du roi prisonnier, que les indépendants avaient transféré à la maison royale de Hampton-court. Cromwell d’un côté, les presbytériens de l’autre, traitaient secrètement avec lui. Les Écossais lui proposaient de l’enlever. Charles, craignant également tous les partis, trouva le moyen de s’enfuir de Hampton-court et de passer dans l’île de Wight, où il crut trouver un asile, et où il ne trouva qu’une nouvelle prison.

Dans cette anarchie d’un parlement factieux et méprisé, d’une ville divisée, d’une armée audacieuse, d’un roi fugitif et prisonnier, le même esprit qui animait depuis longtemps les indépendants saisit tout à coup plusieurs soldats de l’armée ; ils se nommèrent les aplanisseurs[1], nom qui signifiait qu’ils voulaient tout mettre au niveau, et ne reconnaître aucun maître au-dessus d’eux, ni dans l’armée, ni dans l’État, ni dans l’Église. Ils ne faisaient que ce qu’avait fait la chambre des communes : ils imitaient leurs officiers, et leur droit paraissait aussi bon que celui des autres ; leur nombre était considérable. Cromwell, voyant qu’ils étaient d’autant plus dangereux qu’ils se servaient de ses principes, et qu’ils allaient lui ravir le fruit de tant de politique et de tant de travaux, prit tout d’un coup le parti de les exterminer au péril de sa vie. Un jour qu’ils s’assemblaient il marche à eux, à la tête de son régiment des Frères rouges, avec lesquels il avait toujours été victorieux, leur demande au nom de Dieu ce qu’ils veulent, et les charge avec tant d’impétuosité, qu’ils résistèrent à peine. Il en fit pendre plusieurs, et dissipa ainsi une faction dont le crime était de l’avoir imité.

Cette action augmenta encore son pouvoir dans l’armée, dans le parlement, et dans Londres, Le chevalier Fairfax était toujours général, mais avec bien moins de crédit que lui. Le roi, prisonnier dans l’île de Wight, ne cessait de faire des propositions de paix, comme s’il eût fait encore la guerre, et comme si on eût voulu l’écouter. Le duc d’York, un de ses fils, qui fut depuis Jacques II, âgé alors de quinze ans, prisonnier au palais de Saint--

  1. Ou mieux les niveleurs. (G. A.)