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CHAPITRE CLXXXI.

encore plus inouïes[1]. On ne peut trop remettre ces terribles exemples devant les yeux des hommes vulgaires qui voudraient intéresser le monde entier à leurs malheurs, quand ils ont été traversés dans leurs petites prétentions, ou dans leurs vains plaisirs.

Cromwell cependant revint à Londres en triomphe. La plupart des députés du parlement, leur orateur à leur tête, le conseil de ville, précédé du maire, allèrent au-devant de lui à quelques milles de Londres. Son premier soin, dès qu’il fut dans la ville, fut de porter le parlement à un abus de la victoire dont les Anglais devaient être flattés. La chambre réunit l’Écosse à l’Angleterre comme un pays de conquête, et abolit la royauté chez les vaincus, comme elle l’avait exterminée chez les vainqueurs.

Jamais l’Angleterre n’avait été plus puissante que depuis qu’elle était république. Ce parlement tout républicain forma le projet singulier de joindre les sept Provinces-Unies à l’Angleterre, comme il venait d’y joindre l’Écosse (1651). Le stathouder, Guillaume II, gendre de Charles Ier, venait de mourir, après avoir voulu se rendre souverain en Hollande, comme Charles en Angleterre, et n’ayant pas mieux réussi que lui. Il laissait un fils au berceau, et le parlement espérait que les Hollandais se passeraient de stathouder, comme l’Angleterre se passait de monarque, et que la nouvelle république de l’Angleterre, de l’Écosse, et de la Hollande, pourrait tenir la balance de l’Europe ; mais les partisans de la maison d’Orange s’étant opposés à ce projet, qui tenait beaucoup de l’enthousiasme de ces temps-là, ce même enthousiasme porta le parlement anglais à déclarer la guerre à la Hollande. On se battit sur mer avec des succès balancés. Les plus sages du parlement, redoutant le grand crédit de Cromwell, ne continuaient cette guerre que pour avoir un prétexte d’augmenter la flotte aux dépens de l’armée, et de détruire ainsi peu à peu la puissance dangereuse du général.

Cromwell les pénétra comme ils l’avaient pénétré : ce fut alors qu’il développa tout son caractère. « Je suis, dit-il au major général Vernon, poussé à un dénoûment qui me fait dresser les cheveux à la tête. » Il se rendit au parlement (30 avril 1653), suivi d’officiers et de soldats choisis qui s’emparèrent de la porte. Dès qu’il eut pris sa place : « Je crois, dit-il, que ce parlement est assez mûr pour être dissous. » Quelques membres lui ayant repro-

  1. On trouvera dans le Précis du siècle de Louis XV  tous les détails de l’expédition de Charles-Édouard.