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DE L’ANGLETERRE SOUS CHARLES II.
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point encore accoutumée, funestèrent[1] quelque temps le règne de Charles II. Il semblait, par son caractère doux et aimable, formé pour rendre sa nation heureuse, comme il faisait les délices de ceux qui rapprochaient. Cependant le sang coulait sur les échafauds sous ce bon prince comme sous les autres. La religion seule fut la cause de tant de désastres, quoique Charles fût très-philosophe.

Il n’avait point d’enfant ; et son frère, héritier présomptif de la couronne, avait embrassé ce qu’on appelle en Angleterre la secte papiste, objet de l’exécration de presque tout le parlement et de la nation. Dès qu’on sut cette défection, la crainte d’avoir un jour un papiste pour roi aliéna presque tous les esprits. Quelques malheureux de la lie du peuple, apostés par la faction opposée à la cour, dénoncèrent une conspiration bien plus étrange encore que celle des poudres. Ils affirmèrent par serment que les papistes devaient tuer le roi, et donner la couronne à son frère ; que le pape Clément X, dans une congrégation qu’on appelle de la propagande, avait déclaré, en 1675, que le royaume d’Angleterre appartenait aux papes par un droit imprescriptible ; qu’il en donnait la lieutenance au jésuite Oliva, général de l’ordre ; que ce jésuite remettait son autorité au duc d’York, vassal du pape ; qu’on devait lever une armée en Angleterre pour détrôner Charles II ; que le jésuite La Chaise, confesseur de Louis XIV, avait envoyé dix mille louis d’or à Londres pour commencer les opérations ; que le jésuite Conyers avait acheté un poignard une livre sterling pour assassiner le roi, et qu’on en avait offert dix mille à un médecin pour l’empoisonner. Ils produisaient les noms et les commissions de tous les officiers que le général des jésuites avait nommés pour commander l’armée papiste.

Jamais accusation ne fut plus absurde. Le fameux Irlandais qui voyait à cinquante pieds sous terre ; la femme qui accoucha tous les huit jours d’un lapin dans Londres ; celui qui promit à la ville assemblée d’entrer dans une bouteille de deux pintes ; et, parmi nous, l’affaire de notre bulle Unigenitus, nos convulsions, et nos accusations contre les philosophes, n’ont pas été plus ridicules. Mais quand les esprits sont échauffés, plus une opinion est impertinente, plus elle a de crédit.

  1. Les éditions de 1761, 1769, 1775, portent noircirent : les éditions de Kehl sont les premières où l’on lise funestèrent ; c’est sans doute une des corrections manuscrites de l’auteur, qui avait déjà employé le verbe funester en 1770 dans les Questions sur l’Encyclopédie, au mot Ana (Bévue sur le maréchal d’Ancre), et qui en 1768, s’était servi du verbe enfunester. Voyez le chapitre xxxvi du Pyrrhonisme de l’Histoire. (Mélanges, année 1768.) (B.)