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HISTOIRE DE CHARLES XII.


ché ces abus, qui ne sont jamais réformés que lorsqu’ils sont devenus tout à fait intolérables.

Le roi Auguste, bien aise de punir l’évêque de Posnanie avec bienséance, et de plaire à la cour de Rome, contre laquelle il se serait élevé en tout autre temps, remit le prélat polonais entre les mains du nonce. L’évêque, après avoir vu piller sa maison, fut porté par des soldats chez le ministre italien, et envoyé en Saxe, où il mourut. Le comte de Horn essuya, dans le château où il était enfermé, le feu continuel des ennemis ; enfin, la place n’étant pas tenable, il se rendit prisonnier de guerre avec ses quinze cents Suédois, Ce fut là le premier avantage qu’eut le roi Auguste, dans le torrent de sa mauvaise fortune, contre les armes victorieuses de son ennemi.

Ce dernier effort était l’éclat d’un feu qui s’éteint. Ses troupes, assemblées à la hâte, étaient des Polonais prêts à l’abandonner à la première disgrâce, des recrues de Saxons qui n’avaient point encore vu de guerres, des Cosaques vagabonds plus propres à dépouiller des vaincus qu’à vaincre : tous tremblaient au seul nom du roi de Suède,

Ce conquérant, accompagné du roi Stanislas, alla chercher son ennemi à la tête de l’élite de ses troupes. L’armée saxonne fuyait partout devant lui. Les villes lui envoyaient leurs clefs de trente milles à la ronde : il n’y avait point de jour qui ne fût signalé par quelque avantage. Les succès devenaient trop familiers à Charles. Il disait que c’était aller à la chasse plutôt que faire la guerre, et se plaignait de ne point acheter la victoire.

Auguste confia pour quelque temps le commandement de son armée au comte de Schulenbourg[1], général très-habile, et qui avait besoin de toute son expérience à la tête d’une armée découragée. Il songea plus à conserver les troupes de son maître qu’à vaincre : il faisait la guerre avec adresse, et les deux rois avec vivacité. Il leur déroba des marches, occupa des passages avantageux, sacrifia quelque cavalerie pour donner le temps à son infanterie de se retirer en sûreté. Il sauva ses troupes par des retraites glorieuses, devant un ennemi avec lequel on ne pouvait guère alors acquérir que cette espèce de gloire.

À peine arrivé dans le palatinat de Posnanie, il apprend que les deux rois, qu’il croyait à cinquante lieues de lui, avaient fait ces cinquante lieues en neuf jours. Il n’avait que huit mille fantassins et mille cavaliers ; il fallait se soutenir contre une

  1. À qui Voltaire a écrit la lettre du 15 sept. 1740 ; voyez dans la Correspondance.