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LIVRE TROISIÈME.


armée supérieure, contre le nom du roi de Suède, et contre la crainte naturelle que tant de défaites inspiraient aux Saxons. Il avait toujours prétendu, malgré l’avis des généraux allemands, que l’infanterie pouvait résister en pleine campagne, même sans chevaux de frise, à la cavalerie : il en osa faire ce jour-là l’expérience contre cette cavalerie victorieuse, commandée par deux rois et par l’élite des généraux suédois. Il se posta si avantageusement qu’il ne put être entouré. Son premier rang mit le genou en terre : il était armé de piques et de fusils ; les soldats, extrêmement serrés, présentaient aux chevaux des ennemis une espèce de rempart hérissé de piques et de baïonnettes ; le second rang, un peu courbé sur les épaules du premier, tirait par-dessus ; et le troisième, debout, faisait feu en même temps derrière les deux autres. Les Suédois fondirent avec leur impétuosité ordinaire sur les Saxons, qui les attendirent sans s’ébranler : les coups de fusil, de pique et de baïonnette, effarouchèrent les chevaux, qui se cabraient au lieu d’avancer. Par ce moyen, les Suédois n’attaquèrent qu’en désordre, et les Saxons se défendirent en gardant leurs rangs.

Il en fit un bataillon carré long ; et, quoique chargé de cinq blessures, il se retira en bon ordre en cette forme, au milieu de la nuit, dans la petite ville de Gurau, à trois lieues du champ de bataille. À peine commençait-il à respirer dans cet endroit que les deux rois paraissent tout à coup derrière lui.

Au delà de Gurau, en tirant vers le fleuve de l’Oder, était un bois épais, à travers duquel le général saxon sauva son infanterie fatiguée. Les Suédois, sans se rebuter, le poursuivirent par le bois même, avançant avec difficulté dans des routes à peine praticables pour des gens de pied. Les Saxons n’eurent traversé le bois que cinq heures avant la cavalerie suédoise. Au sortir de ce bois coule la rivière de Parts, au pied d’un village nommé Rutsen. Schulenbourg avait envoyé en diligence rassembler des bateaux ; il fait passer la rivière à sa troupe, qui était déjà diminuée de moitié. Charles arrive dans le temps que Schulenbourg était à l’autre bord. Jamais vainqueur n’avait poursuivi si vivement son ennemi. La réputation de Schulenbourg dépendait d’échapper au roi de Suède ; le roi, de son côté, croyait sa gloire intéressée à prendre Schulenbourg et le reste de son armée : il ne perd point de temps ; il fait passer sa cavalerie à un gué. Les Saxons se trouvaient enfermés entre cette rivière de Parts et le grand fleuve de l’Oder, qui prend sa source dans la Silésie, et qui est déjà profond et rapide en cet endroit.