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HISTOIRE DE CHARLES XII.


Le roi Stanislas partit d’Alt-Rantstadt, le 15 juillet de l’année 1707, avec le général Rehnsköld, seize régiments suédois et beaucoup d’argent, pour apaiser tous ces troubles en Pologne, et se faire reconnaître paisiblement. Il fut reconnu partout où il passa : la discipline de ses troupes, qui faisait mieux sentir la barbarie des Moscovites, lui gagna les esprits ; son extrême affabilité lui réunit presque toutes les factions, à mesure qu’elle fut connue ; son argent lui donna la plus grande partie de l’armée de la couronne. Le czar, craignant de manquer de vivres dans un pays que ses troupes avaient désolé, se retira en Lithuanie, où était le rendez-vous de ses corps d’armée, et où il devait établir des magasins. Cette retraite laissa le roi Stanislas paisible souverain de presque toute la Pologne.

Le seul qui le troublât alors dans ses États était le comte Siniawski, grand-général de la couronne, de la nomination du roi Auguste. Cet homme, qui avait d’assez grands talents et beaucoup d’ambition, était à la tête d’un tiers parti : il ne reconnaissait ni Auguste ni Stanislas ; et après avoir tout tenté pour se faire élire lui-même, il se contentait d’être chef de parti, ne pouvant pas être roi. Les troupes de la couronne, qui étaient demeurées sous ses ordres, n’avaient guère d’autre solde que la liberté de piller impunément leur propre pays. Tous ceux qui craignaient ces brigandages, ou qui en souffraient, se donnèrent bientôt à Stanislas, dont la puissance s’affermissait de jour en jour.

Le roi de Suède recevait alors dans son camp d’Alt-Rantstadt les ambassadeurs de presque tous les princes de la chrétienté. Les uns venaient le supplier de quitter les terres de l’empire ; les autres eussent bien voulu qu’il eût tourné ses armes contre l’empereur ; le bruit même s’était répandu partout qu’il devait se joindre à la France pour accabler la maison d’Autriche. Parmi tous ces ambassadeurs vint le fameux Jean, duc de Marlborough, de la part d’Anne, reine de la Grande-Bretagne. Cet homme, qui n’a jamais assiégé de ville qu’il n’ait prise, ni donné de bataille qu’il n’ait gagnée, était à Saint-James un adroit courtisan, dans le parlement un chef de parti, dans les pays étrangers le plus habile négociateur de son siècle. Il avait fait autant de mal à la France par son esprit que par ses armes. On a entendu dire au secrétaire des États-Généraux, M. Fagel, homme d’un très-grand mérite, que plus d’une fois les États-Généraux ayant résolu de s’opposer à ce que le duc de Marlborough devait leur proposer, le duc arrivait, leur parlait en français, langue dans laquelle il s’exprimait très-mal, et les persuadait tous. C’est ce que le lord Bolingbroke m’a confirmé.