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LIVRE QUATRIÈME.


dans peu tous ses grands desseins, et peut-être son trône, songea à parler de paix : il fit hasarder quelques propositions par un gentilhomme polonais qui vint à l’armée de Suède. Charles XII, accoutumé à n’accorder la paix à ses ennemis que dans leurs capitales, répondit : «Je traiterai avec le czar à Moscou.» Quand on rapporta au czar cette réponse hautaine : « Mon frère Charles, dit-il, prétend faire toujours l’Alexandre ; mais je me flatte qu’il ne trouvera pas en moi un Darius. »

De Mohilou, place où le roi traversa le Borysthène, si vous remontez au nord le long de ce fleuve, toujours sur les frontières de Pologne et de Moscovie, vous trouvez à trente lieues le pays de Smolensko, par où passe la grande route qui va de Pologne à Moscou. Le czar fuyait par ce chemin. Le roi le suivait à grandes journées. Une partie de l’arrière-garde moscovite fut plus d’une fois aux prises avec les dragons de l’avant-garde suédoise. L’avantage demeurait presque toujours à ces derniers ; mais ils s’affaiblissaient, à force de vaincre dans de petits combats qui ne décidaient rien, et où ils perdaient toujours du monde.

Le 22 septembre de cette année 1708, le roi attaqua auprès de Smolensko un corps de dix mille hommes de cavalerie et de six mille Calmoucks.

Ces Calmoucks sont des Tartares qui habitent entre le royaume d’Astracan, domaine du czar, et celui de Samarcande, pays des Tartares Usbecks, et patrie de Timur, connu sous le nom de Tamerlan, Le pays des Calmoucks s’étend à l’orient jusqu’aux montagnes qui séparent le Mogol de l’Asie occidentale. Ceux qui habitent vers Astracan sont tributaires du czar : il prétend sur eux un empire absolu ; mais leur vie vagabonde l’empêche d’en être le maître, et fait qu’il se conduit avec eux comme le Grand Seigneur avec les Arabes, tantôt souffrant leurs brigandages, et tantôt les punissant. Il y a toujours de ces Calmoucks dans les troupes de Moscovie. Le czar était même parvenu à les discipliner comme le reste de ses soldats.

Le roi fondit sur cette armée, n’ayant avec lui que six régiments de cavalerie et quatre mille fantassins. Il enfonça d’abord les Moscovites à la tête de son régiment d’Ostrogothie ; les ennemis se retirèrent. Le roi avança sur eux par des chemins creux et inégaux, où les Calmoucks étaient cachés : ils parurent alors, et se jetèrent entre le régiment où le roi combattait et le reste de l’armée suédoise. À l’instant et Russes et Calmoucks entourèrent ce régiment, et percèrent jusqu’au roi. Ils tuèrent deux aides de camp qui combattaient auprès de sa personne. Le cheval du roi