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HISTOIRE DE CHARLES XII.


la terre, et en même temps, ce qui semble inconcevable, les plus hospitaliers. Ils vont à cinquante lieues de leur pays attaquer une caravane, détruire des villages ; mais qu’un étranger, quel qu’il soit, passe dans leur pays, non-seulement il est reçu partout, logé et défrayé, mais, dans quelque lieu qu’il passe, les habitants se disputent l’honneur de l’avoir pour hôte ; le maître de la maison, sa femme, ses filles, le servent à l’envi. Les Scythes, leurs ancêtres, leur ont transmis ce respect inviolable pour l’hospitalité, qu’ils ont conservé, parce que le peu d’étrangers qui voyagent chez eux et le bas prix de toutes les denrées ne leur rendent point cette vertu trop onéreuse.

Quand les Tartares vont à la guerre avec l’armée ottomane, ils sont nourris par le Grand Seigneur : le butin qu’ils font est leur seul paye ; aussi sont-ils plus propres à piller qu’à combattre régulièrement.

Le kan, gagné par les présents et par les intrigues du roi de Suède, obtint d’abord que le rendez-vous général des troupes serait à Bender même, sous les yeux de Charles XII, afin de lui marquer mieux que c’était pour lui qu’on faisait la guerre.

Le nouveau vizir, Baltagi Mehemet, n’ayant pas les mêmes engagements, ne voulait pas flatter à ce point un prince étranger. Il changea l’ordre, et ce fut à Andrinople que s’assembla cette grande armée. C’est toujours[1] dans les vastes et fertiles plaines d’Andrinople qu’est le rendez-vous des armées turques, quand ce peuple fait la guerre aux chrétiens : les troupes venues d’Asie et d’Afrique s’y reposent et s’y rafraîchissent quelques semaines ; mais le grand vizir, pour prévenir le czar, ne laissa reposer l’armée que trois jours, et marcha vers le Danube, et de là vers la Bessarabie.

Les troupes des Turcs ne sont plus aujourd’hui si formidables qu’autrefois, lorsqu’elles conquirent tant d’États dans l’Asie, dans l’Afrique, et dans l’Europe : alors la force du corps, la valeur et le nombre des Turcs triomphaient d’ennemis moins robustes qu’eux et plus mal disciplinés ; mais aujourd’hui que les chrétiens entendent mieux l’art de la guerre, ils battent presque toujours les Turcs en bataille rangée, même à forces inégales. Si l’empire ottoman a depuis peu fait quelques conquêtes, ce n’est que sur la république de Venise, estimée plus sage que guerrière, défendue par des étrangers, et mal secourue par les princes chrétiens, toujours divisés entre eux.

  1. La fin de ce paragraphe ne se trouve pas dans les premières éditions.