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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XIV.


naces et les excommunications du pape : tout cédait à la force. Personne n’ignore comment fut faite l’élection de Stanislas Leczinski, et comment Charles XII le fit reconnaître dans une grande partie de la Pologne.

Pierre n’abandonna pas le roi détrôné ; il redoubla ses secours à mesure qu’il fut plus malheureux ; et pendant que son ennemi faisait des rois, il battait les généraux suédois en détail dans l’Estonie, dans l’Ingrie, il courait au siége de Narva, et faisait donner des assauts. Il y avait trois bastions fameux, du moins par leurs noms : on les appelait la Victoire, l’Honneur, et la Gloire. Le czar les emporta tous trois l’épée à la main. Les assiégeants entrent dans la ville, la pillent, et y exercent toutes les cruautés qui n’étaient que trop ordinaires entre les Suédois et les Russes.

Pierre donna alors un exemple qui dut lui concilier les cœurs de ses nouveaux sujets[1] ; il court de tous côtés pour arrêter le pillage et le massacre ; arrache des femmes des mains de ses soldats, et, ayant tué deux de ces emportés qui n’obéissaient pas à ses ordres, il entre à l’hôtel de ville, où les citoyens se réfugiaient en foule ; là, posant son épée sanglante sur la table : « Ce n’est pas du sang des habitants, dit-il, que cette épée est teinte, mais du sang de mes soldats, que j’ai versé pour vous sauver la vie[2]. »


CHAPITRE XIV.[3]

TOUTE L’INGRIE DEMEURE À PIERRE LE GRAND, TANDIS QUE CHARLES XII TRIOMPHE AILLEURS. ÉLÉVATION DE MENZIKOFF. PÉTERSBOURG EN SÛRETÉ. DESSEINS TOUJOURS EXÉCUTÉS MALGRÉ LES VICTOIRES DE CHARLES.

Maître de toute l’Ingrie, Pierre en conféra le gouvernement à Menzikoff, et lui donna le titre de prince et le rang de général-

  1. 20 août. (Note de Voltaire.) — Dans l’Histoire de Charles XII, page 210 de ce volume, Voltaire dit le 21 août.
  2. Cette phrase est rapportée, avec quelques légères différences, dans l’Histoire de Charles XII, page 210.
  3. Les chapitres précédents et tous les suivants sont tirés du Journal de Pierre le Grand, et des Mémoires envoyés de Pétersbourg, confrontés avec tous les autres Mémoires. (Note de Voltaire.)