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PIERRE POSSÈDE L’INGRIE.


major. L’orgueil et le préjugé pouvaient ailleurs trouver mauvais qu’un garçon pâtissier devînt général, gouverneur et prince ; mais Pierre avait déjà accoutumé ses sujets à ne se pas étonner de voir donner tout aux talents, et rien à la seule noblesse. Menzikoff, tiré de son premier état dans son enfance, par un hasard heureux qui le plaça dans la maison du czar, avait appris plusieurs langues, s’était formé aux affaires et aux armes ; et, ayant su d’abord se rendre agréable à son maître, il sut se rendre nécessaire. Il hâtait les travaux de Pétersbourg ; on y bâtissait déjà plusieurs maisons de briques et de pierres, un arsenal, des magasins ; on achevait les fortifications ; les palais ne sont venus qu’après.

Pierre était à peine établi dans Narva qu’il offrit de nouveaux secours au roi de Pologne détrôné : il promit encore des troupes, outre les douze mille hommes qu’il avait déjà envoyés ; et en effet il fit partir[1] pour les frontières de la Lithuanie le général Repnin avec six mille hommes de cavalerie et six mille d’infanterie. Il ne perdait pas de vue sa colonie de Pétersbourg un seul moment ; la ville se bâtissait, la marine s’augmentait ; des vaisseaux, des frégates, se construisaient dans les chantiers d’Olonitz ; il alla les faire achever, et les conduisit à Pétersbourg[2].

Tous ses retours à Moscou étaient marqués par des entrées triomphantes : c’est ainsi qu’il y revint cette année[3], et il n’en partit que pour aller faire lancer à l’eau son premier vaisseau de quatre-vingts pièces de canon, dont il avait donné les dimensions l’année précédente sur la Véronise.

Dès que la campagne put s’ouvrir en Pologne[4], il courut à l’armée qu’il avait envoyée sur les frontières de la Lithuanie au secours d’Auguste ; mais pendant qu’il aidait ainsi son allié, une flotte suédoise s’avançait pour détruire Pétersbourg et Cronslot, à peine bâtis ; elle était composée de vingt-deux vaisseaux de cinquante-quatre à soixante-quatre pièces de canon, de six frégates, de deux galiotes à bombes, de deux brûlots. Les troupes de transport firent leur descente dans la petite île de Kotin. Un colonel russe, nommé Tolboguin, ayant fait coucher son régiment ventre à terre pendant que les Suédois débarquaient sur le rivage[5], le fit lever tout à coup ; et le feu fut si vif et si bien ménagé que les Suédois, renversés, furent obligés de regagner leurs vais-

  1. 19 août. (Note de Voltaire.)
  2. 11 octobre 1704. (Id.)
  3. 30 décembre. (Id.)
  4. Mai 1705. (Id.)
  5. 17 juin. (Id.)