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CÉRÉMONIES.

cela ne prouve-t-il pas que les Romains du bon temps étaient grands et modestes, et que nous sommes petits et vains ?

« Comment vous portez-vous, mon cher ami ? disait un duc et pair à un gentilhomme. — À votre service, mon cher ami, répondit l’autre ; » et dès ce moment il eut son cher ami pour ennemi implacable. Un grand de Portugal parlait à un grand d’Espagne, et lui disait à tout moment : « Votre Excellence. » Le Castillan lui répondait : « Votre courtoisie, vuestra merced ; » c’est le titre que l’on donne aux gens qui n’en ont pas. Le Portugais, piqué, appela l’Espagnol à son tour : Votre courtoisie ; l’autre lui donna alors de l’excellence. À la fin le Portugais, lassé, lui dit : « Pourquoi me donnez-vous toujours de la courtoisie quand je vous donne de l’excellence ? et pourquoi m’appelez-vous votre excellence quand je vous dis votre courtoisie ? — C’est que tous les titres me sont égaux, répondit humblement le Castillan, pourvu qu’il n’y ait rien d’égal entre vous et moi. »

La vanité des titres ne s’introduisit dans nos climats septentrionaux de l’Europe que quand les Romains eurent fait connaissance avec la sublimité asiatique. La plupart des rois de l’Asie étaient et sont encore cousins germains du soleil et de la lune : leurs sujets n’osent jamais prétendre à cette alliance ; et tel gouverneur de province qui s’intitule Muscade de consolation et Rose de plaisir, serait empalé s’il se disait parent le moins du monde de la lune et du soleil.

Constantin fut, je pense, le premier empereur romain qui chargea l’humilité chrétienne d’une page de noms fastueux. Il est vrai qu’avant lui on donnait du dieu aux empereurs. Mais ce mot dieu ne signifiait rien d’approchant de ce que nous entendons. Divus Augustus, divus Trajanus, voulaient dire saint Auguste, saint Trajan. On croyait qu’il était de la dignité de l’empire romain que l’âme de son chef allât au ciel après sa mort ; et souvent même on accordait le titre de saint, de divus, à l’empereur, en avancement d’hoirie. C’est à peu près par cette raison que les premiers patriarches de l’Église chrétienne s’appelaient tous votre sainteté. On les nommait ainsi pour les faire souvenir de ce qu’ils devaient être.

On se donne quelquefois à soi-même des titres fort humbles, pourvu qu’on en reçoive de fort honorables. Tel abbé qui s’intitule frère, se fait appeler monseigneur par ses moines. Le pape se nomme serviteur des serviteurs de Dieu. Un bon prêtre du Holstein écrivit un jour au pape Pie IV : À Pie IV, serviteur des serviteurs de Dieu. Il alla ensuite à Rome solliciter son affaire : et l’Inquisition le fit mettre en prison pour lui apprendre à écrire.