Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il n’y avait autrefois que l’empereur qui eût le titre de majesté. Les autres rois s’appellaient votre altesse, votre sérénité, votre grâce. Louis XI fut le premier en France qu’on appela communément majesté, titre non moins convenable en effet à la dignité d’un grand royaume héréditaire qu’à une principauté élective. Mais on se servait du terme d’altesse avec les rois de France longtemps après lui ; et on voit encore des lettres à Henri III, dans lesquelles on lui donne ce titre. Les états d’Orléans ne voulurent point que la reine Catherine de Médicis fût appelée majesté. Mais peu à peu cette dernière dénomination prévalut. Le nom est indifférent ; il n’y a que le pouvoir qui ne le soit pas.

La chancellerie allemande, toujours invariable dans ses nobles usages, a prétendu jusqu’à nos jours ne devoir traiter tous les rois que de sérénité. Dans le fameux traité de Vestphalie, où la France et la Suède donnèrent des lois au saint empire romain, jamais les plénipotentiaires de l’empereur ne présentèrent de mémoires latins où sa sacrée majesté impériale ne traitât avec les sérénissimes rois de France et de Suède ; mais, de leur côté, les Français et les Suédois ne manquaient pas d’assurer que leurs sacrées majestés de France et de Suède avaient beaucoup de griefs contre le sérénissime empereur. Enfin dans le traité tout fut égal de part et d’autre. Les grands souverains ont, depuis ce temps, passé dans l’opinion des peuples pour être tous égaux : et celui qui a battu ses voisins a eu la prééminence dans l’opinion publique.

Philippe II fut la première majesté en Espagne : car la sérénité de Charles-Quint[1] ne devint majesté qu’à cause de l’empire. Les enfants de Philippe II furent les premières altesses, et ensuite ils furent altesses royales. Le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, ne prit qu’en 1631 le titre d’altesse royale ; alors le prince de Condé prit celui d’altesse sérénissime, que n’osèrent s’arroger les ducs de Vendôme. Le duc de Savoie fut alors altesse royale, et devint ensuite majesté. Le grand-duc de Florence en fit autant, à la majesté près ; et enfin le czar, qui n’était connu en Europe que sous le nom de grand-duc, s’est déclaré empereur, et a été reconnu pour tel.

Il n’y avait anciennement que deux marquis d’Allemagne, deux en France, deux en Italie. Le marquis de Brandebourg est devenu roi, et grand roi : mais aujourd’hui nos marquis italiens et français sont d’une espèce un peu différente.

Qu’un bourgeois italien ait l’honneur de donner à dîner au légat de sa province, et que le légat en buvant lui dise : Mon-

  1. Il n’était que Charles Ier en Espagne.