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DÉMONIAQUES.

purgeons doucement, nous leur donnons des émollients : voilà comme M. Pomme les traite ; et il a opéré plus de cures que les prêtres d’Isis et de Diane, ou autres, n’ont jamais fait de miracles.

Quant aux démoniaques qui se disent possédés pour gagner de l’argent, au lieu de les baigner on les fouette.

Il arrivait souvent que des épileptiques ayant les fibres et les muscles desséchés pesaient moins qu’un pareil volume d’eau, et surnageaient quand on les mettait dans le bain. On criait : Miracle ! on disait : C’est un possédé ou un sorcier ; on allait chercher de l’eau bénite ou un bourreau. C’était une preuve indubitable, ou que le démon s’était rendu maître du corps de la personne surnageante, ou qu’elle s’était donnée à lui. Dans le premier cas elle était exorcisée, dans le second elle était brûlée.

C’est ainsi que nous avons raisonné et agi pendant quinze ou seize cents ans ; et nous avons osé nous moquer des Cafres[1] ! c’est une exclamation qui peut souvent échapper[2].

En 1603, dans une petite ville de la Franche-Comté, une femme de qualité faisait lire les Vies des saints à sa belle-fille devant ses parents ; cette jeune personne, un peu trop instruite, mais ne sachant pas l’orthographe, substitua le mot d’histoires à celui de vies. Sa marâtre, qui la haïssait, lui dit aigrement : Pourquoi ne lisez-vous pas comme il y a ? La petite fille rougit, trembla, n’osa répondre ; elle ne voulut pas déceler celle de ses compagnes qui lui avait appris le mot propre mal orthographié, qu’elle avait eu la pudeur de ne pas prononcer. Un moine, confesseur de la maison, prétendit que c’était le diable qui lui avait enseigné ce mot. La fille aima mieux se taire que se justifier : son silence fut regardé comme un aveu. L’Inquisition la convainquit d’avoir fait un pacte avec le diable. Elle fut condamnée à être brûlée, parce qu’elle avait beaucoup de bien de sa mère, et que la confiscation appartenait de droit aux inquisiteurs : elle fut la cent millième victime de la doctrine des démoniaques, des possédés, des exorcismes, et des véritables diables qui ont régné sur la terre.

  1. Voyez à la fin de l’article Convulsions.
  2. Fin de l’article en 1771 ; l’addition est de 1774.