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DIEU, DIEUX.


Je pense avec vous que le fanatisme est un monstre mille fois plus dangereux que l’athéisme philosophique. Spinosa n’a pas commis une seule mauvaise action : Chastel et Ravaillac, tous deux dévots, assassinèrent Henri IV.

L’athée de cabinet est presque toujours un philosophe tranquille, le fanatique est toujours turbulent ; mais l’athée de cour, le prince athée pourrait être le fléau du genre humain. Borgia et ses semblables ont fait presque autant de mal que les fanatiques de Munster et des Cévennes, je dis les fanatiques des deux partis. Le malheur des athées de cabinet est de faire des athées de cour. C’est Chiron qui élève Achille ; il le nourrit de moelle de lion. Un jour Achille traînera le corps d’Hector autour des murailles de Troie, et immolera douze captifs innocents à sa vengeance.

Dieu nous garde d’un abominable prêtre[1] qui hache un roi en morceaux avec son couperet sacré, ou de celui qui, le casque en tête et la cuirasse sur le dos, à l’âge de soixante et dix ans[2], ose signer de ses trois doigts ensanglantés la ridicule excommunication d’un roi de France, ou de... ou de... ou de... !

Mais que Dieu nous préserve aussi d’un despote colère et barbare qui, ne croyant point un Dieu, serait son dieu à lui-même ; qui se rendrait indigne de sa place sacrée, en foulant aux pieds les devoirs que cette place impose ; qui sacrifierait sans remords ses amis, ses parents, ses serviteurs, son peuple, à ses passions ! Ces deux tigres, l’un tondu, l’autre couronné, sont également à craindre. Par quel frein pourrons-nous les retenir ? etc., etc.

Si l’idée d’un Dieu auquel nos âmes peuvent se rejoindre a fait des Titus, des Trajan, des Antonins, des Marc-Aurèle, et ces grands empereurs chinois dont la mémoire est si précieuse dans le second des plus anciens et des plus vastes empires du monde, ces exemples suffisent pour ma cause, et ma cause est celle de tous les hommes.

Je ne crois pas que dans toute l’Europe il y ait un seul homme d’État, un seul homme un peu versé dans les affaires du monde, qui n’ait le plus profond mépris pour toutes les légendes dont nous avons été inondés plus que nous le sommes aujourd’hui de brochures. Si la religion n’enfante plus de guerres civiles, c’est à

  1. Samuel : voyez dans les Mélanges, année 1776, le paragraphe xxxv de Un Chrétien contre six Juifs.
  2. Jules II. Voyez Essai sur les Mœurs, chapitre cxiii.