Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
381
DIEU, DIEUX.

la philosophie seule qu’on en est redevable : les disputes théologiques commencent à être regardées du même œil que les querelles de Gilles et de Pierrot à la foire. Une usurpation également odieuse et ridicule, fondée d’un côté sur la fraude, et de l’autre sur la bêtise, est minée chaque instant par la raison, qui établit son règne. La bulle in Cœna Domini, le chef-d’œuvre de l’insolence et de la folie, n’ose plus paraître dans Rome même. Si un régiment de moines fait la moindre évolution contre les lois de l’État, il est cassé sur-le-champ. Mais quoi ! parce qu’on a chassé les jésuites faut-il chasser Dieu ? Au contraire, il faut l’en aimer davantage.


SECTION VI[1].


Sous l’empire d’Arcadius, Logomacos, théologal de Constantinople, alla en Scythie, et s’arrêta au pied du Caucase, dans les fertiles plaines de Zéphirim, sur les frontières de la Colchide. Le bon vieillard Dondindac était dans sa grande salle basse, entre sa grande bergerie et sa vaste grange ; il était à genoux avec sa femme, ses cinq fils et ses cinq filles, ses parents et ses valets, et tous chantaient les louanges de Dieu après un léger repas. « Que fais-tu là, idolâtre? lui dit Logomacos. — Je ne suis point idolâtre, dit Dondindac — Il faut bien que tu sois idolâtre, dit Logomacos, puisque tu n’es pas Grec. Çà, dis-moi, que chantais-tu dans ton barbare jargon de Scythie? — Toutes les langues sont égales aux oreilles de Dieu, répondit le Scythe ; nous chantions ses louanges. — Voilà qui est bien extraordinaire, reprit le théologal, une famille scythe qui prie Dieu sans avoir été instruite par nous ! » Il engagea bientôt une conversation avec le Scythe Dondindac : car le théologal savait un peu de scythe, et l’autre un peu de grec. On a retrouvé cette conversation dans un manuscrit conservé dans la bibliothèque de Constantinople.

Logomacos.

Voyons si tu sais ton catéchisme. Pourquoi pries-tu Dieu ?

Dondindac.

C’est qu’il est juste d’adorer l’Être suprême, de qui nous tenons tout.

Logomacos.

Pas mal pour un barbare ! Et que lui demandes-tu ?

  1. Dans l’édition de 1761 du Dictionnaire, l’article se composait de ce qui forme aujourd’hui cette section vi. (B.)