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DISPUTE.

Et, tout près d’expirer, gardant son caractère,
Il faisait disputer le prêtre et le notaire.

Que la bonté divine, arbitre de son sort,
Lui donne le repos que nous rendit sa mort.
Si du moins il s’est tu devant ce grand arbitre !

Un jeune bachelier, bientôt docteur en titre,
Doit, suivant une affiche, un tel jour, en tel lieu,
Répondre à tout venant sur l’essence de Dieu.
Venez-y, venez voir, comme sur un théâtre.
Une dispute en règle, un choc opiniâtre,
L’enthymème serré, les dilemmes pressants.
Poignards à double lame, et frappant en deux sens ;
Et le grand syllogisme en forme régulière,
Et le sophisme vain de sa fausse lumière ;
Des moines échauffés, vrai fléau des docteurs,
De pauvres Hibernois, complaisants disputeurs,
Qui, fuyant leur pays pour les saintes promesses,
Viennent vivre à Paris d’arguments et de messes ;
Et l’honnête public qui, même écoutant bien,
A la saine raison de n’y comprendre rien.
Voilà donc les leçons qu’on prend dans vos écoles !

Mais tous les arguments sont-ils faux ou frivoles ?
Socrate disputait jusque dans les festins,
Et tout nu quelquefois argumentait aux bains.
Était-ce dans un sage une folle manie ?
La contrariété fait sortir le génie.
La veine d’un caillou recèle un feu qui dort ;
Image de ces gens, froids au premier abord.
Et qui dans la dispute, à chaque repartie,
Sont pleins d’une chaleur qu’on n’avait point sentie.
C’est un bien, j’y consens. Quant au mal, le voici :
Plus on a disputé, moins on s’est éclairci.
On ne redresse point l’esprit faux ni l’œil louche.
Ce mot j’ai tort, ce mot nous déchire la bouche.
Nos cris et nos efforts ne frappent que le vent.
Chacun dans son avis demeure comme avant.
C’est mêler seulement aux opinions vaines
Le tumulte insensé des passions humaines.
Le vrai peut quelquefois n’être point de saison ;
Et c’est un très-grand tort que d’avoir trop raison.

Autrefois la Justice et la Vérité nues
Chez les premiers humains furent longtemps connues ;