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DROIT CANONIQUE.

ainsi une portion de l’autorité civile entre les mains d’un corps ou d’une personne qui avait déjà une autorité sur les choses spirituelles. Livrer à ceux qui devaient seulement conduire les hommes au ciel une autorité sur la terre, c’était réunir deux pouvoirs dont l’abus était trop facile ; mais il est certain du moins qu’aucun homme, en tant qu’ecclésiastique, ne peut avoir aucune sorte de juridiction. S’il la possède, elle est ou concédée par le souverain, ou usurpée : il n’y a point de milieu. Le royaume de Jésus-Christ n’est point de ce monde : il a refusé d’être juge sur la terre ; il a ordonné de rendre à César ce qui appartient à César ; il a interdit à ses apôtres toute domination ; il n’a prêché que l’humilité, la douceur et la dépendance. Les ecclésiastiques ne peuvent tenir de lui ni puissance, ni autorité, ni domination, ni juridiction, dans le monde ; ils ne peuvent donc posséder légitimement aucune autorité que par une concession du souverain, de qui tout pouvoir doit dériver dans la société.

Puisque c’est du souverain seul que les ecclésiastiques tiennent quelque juridiction sur la terre, il suit de là que le souverain et les magistrats doivent veiller sur l’usage que le clergé fait de son autorité, comme nous l’avons prouvé.

Il fut un temps, dans l’époque malheureuse du gouvernement féodal, où les ecclésiastiques s’étaient emparés en divers lieux des principales fonctions de la magistrature. On a borné dès lors l’autorité des seigneurs de fiefs laïques, si redoutable au souverain et si dure pour les peuples ; mais une partie de l’indépendance des juridictions ecclésiastiques a subsisté. Quand donc est-ce que les souverains seront assez instruits ou assez courageux pour reprendre à eux toute autorité usurpée, et tant de droits dont on a si souvent abusé pour vexer les sujets, qu’ils doivent protéger ?

C’est de cette inadvertance des souverains que sont venues les entreprises audacieuses de quelques ecclésiastiques contre le souverain même. L’histoire scandaleuse de ces attentats énormes est consignée dans des monuments qui ne peuvent être contestés ; et il est à présumer que les souverains, éclairés aujourd’hui par les écrits des sages, ne permettront plus de tentatives qui ont si souvent été accompagnées ou suivies de tant d’horreurs.

La bulle in Cœna Domini est encore en particulier une preuve subsistante des entreprises continuelles du clergé contre l’autorité souveraine et civile, etc.[1].

  1. Voyez l’article Bulle, et surtout la première section de l’article Puissance. (Note de Voltaire.)