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ENCHANTEMENT.

grand sujet de dispute entre les Pères de l’Église. Le sage Théodoret, dans sa question lxii sur le livre des Rois, assure que les morts avaient coutume d’apparaître la tête en bas ; et que ce qui effraya la pythonisse, ce fut que Samuel était sur ses jambes.

Saint Augustin, interrogé par Simplicien, lui répond, dans le second livre de ses questions, qu’il n’est pas plus extraordinaire de voir une pythonisse faire venir une ombre que de voir le diable emporter Jésus-Christ sur le pinacle du temple et sur la montagne.

Quelques savants, voyant que chez les Juifs on avait des esprits de Python, en ont osé conclure que les Juifs n’avaient écrit que très-tard, et qu’ils avaient presque tout pris dans les fables grecques ; mais ce sentiment n’est pas soutenable.


DES AUTRES SORTILÉGES.


Quand on est assez habile pour évoquer des morts avec des paroles, on peut à plus forte raison faire mourir des vivants, ou du moins les en menacer, comme le Médecin malgré lui dit à Lucas[1] qu’il lui donnera la fièvre. Du moins il n’était pas douteux que les sorciers n’eussent le pouvoir de faire mourir les bestiaux ; et il fallait opposer sortilége à sortilége pour garantir son bétail. Mais ne nous moquons point des anciens, pauvres gens que nous sommes, sortis à peine de la barbarie ! Il n’y a pas cent ans que nous avons fait brûler des sorciers dans toute l’Europe ; et on vient encore de brûler une sorcière, vers l’an 1750, à Vurtzbourg. Il est vrai que certaines paroles et certaines cérémonies suffisent pour faire périr un troupeau de moutons, pourvu qu’on y ajoute de l’arsenic.

L’Histoire critique des cérémonies superstitieuses, par Le Brun de l’Oratoire, est bien étrange ; il veut combattre le ridicule des sortiléges, et il a lui-même le ridicule de croire à leur puissance. Il prétend que Marie Bucaille la sorcière, étant en prison à Valogne, parut à quelques lieues de là dans le même temps, selon le témoignage juridique du juge de Valogne. Il rapporte le fameux procès des bergers de Brie, condamnés à être pendus et brûlés par le parlement de Paris en 1691. Ces bergers avaient été assez sots pour se croire sorciers, et assez méchants pour mêler des poisons réels à leurs sorcelleries imaginaires.

Le P. Le Brun proteste[2] qu’il y eut beaucoup de surnaturel

  1. Acte II, scène v.
  2. Voyez le Procès des bergers de Brie, depuis la page 516. (Note de Voltaire.)