Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
293
GOUVERNEMENT.

vaches d’Apollon ; et dans l’Ancien Testament, le prophète Isaïe donne le nom de voleur au fils que sa femme va mettre au monde, et qui doit être un grand type. Il l’appelle Maher-salal-has-bas, partagez vite les dépouilles. Nous avons déjà remarqué[1] que les noms de soldat et de voleur étaient souvent synonymes.

Voilà bientôt Guillaume roi de droit divin. Guillaume le Roux, qui usurpa la couronne sur son frère aîné, fut aussi roi de droit divin sans difficulté ; et ce même droit divin appartint après lui à Henri, le troisième usurpateur.

Les barons normands, qui avaient concouru à leurs dépens à l’invasion de l’Angleterre, voulaient des récompenses : il fallut bien leur en donner, les faire grands-vassaux, grands-officiers de la couronne ; ils eurent les plus belles terres. Il est clair que Guillaume aurait mieux aimé garder tout pour lui, et faire de tous ces seigneurs ses gardes et ses estafiers ; mais il aurait trop risqué. Il se vit donc obligé de partager.

À l’égard des seigneurs anglo-saxons, il n’y avait pas moyen de les tuer tous, ni même de les réduire tous à l’esclavage. On leur laissa chez eux la dignité de seigneurs châtelains. Ils relevèrent des grands-vassaux normands, qui relevaient de Guillaume.

Par là, tout était contenu dans l’équilibre, jusqu’à la première querelle.

Et le reste de la nation, que devint-il ? ce qu’étaient devenus presque tous les peuples de l’Europe, des serfs, des vilains.

Enfin, après la folie des croisades, les princes, ruinés, vendent la liberté à des serfs de glèbe, qui avaient gagné quelque argent par le travail et par le commerce ; les villes sont affranchies ; les communes ont des priviléges ; les droits des hommes renaissent de l’anarchie même.

Les barons étaient partout en dispute avec leur roi, et entre eux. La dispute devenait partout une petite guerre intestine, composée de cent guerres civiles. C’est de cet abominable et ténébreux chaos que sortit encore une faible lumière qui éclaira les communes, et qui rendit leur destinée meilleure.

Les rois d’Angleterre étant eux-mêmes grands-vassaux de France pour la Normandie, ensuite pour la Guienne et pour d’autres provinces, prirent aisément les usages des rois dont ils relevaient. Les états généraux furent longtemps composés, comme en France, des barons et des évêques.

La cour de chancellerie anglaise fut une imitation du conseil

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1769, le chapitre ier de Dieu et les Hommes.