Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
62
FABLE.

des avantages du siècle de Louis XIV d’avoir produit un La Fontaine. Il a trouvé si bien le secret de se faire lire, sans presque le chercher, qu’il a eu en France plus de réputation que l’inventeur même.

Boileau ne l’a jamais compté parmi ceux qui faisaient honneur à ce grand siècle : sa raison ou son prétexte était qu’il n’avait jamais rien inventé. Ce qui pouvait encore excuser Boileau, c’était le grand nombre de fautes contre la langue et contre la correction du style : fautes que La Fontaine aurait pu éviter, et que ce sévère critique ne pouvait pardonner. C’était la cigale[1], qui, « ayant chanté tout l’été, s’en alla crier famine chez la fourmi sa voisine » ; qui lui dit « qu’elle la payera avant l’août, foi d’animal, intérêt et principal » ; et à qui la fourmi répond : « Vous chantiez ? j’en suis fort aise ; eh bien ! dansez maintenant. »

C’était le loup[2], qui, voyant la marque du collier du chien, lui dit : « Je ne voudrais pas même à ce prix un trésor ; » comme si les trésors étaient à l’usage des loups.

C’était la « race escarbots[3], qui est en quartier d’hiver comme la marmotte ».

C’était l’astrologue qui se laissa choir[4], et à qui on dit : « Pauvre bête, penses-tu lire au-dessus de ta tête ? » En effet, Copernic, Galilée, Cassini, Halley, ont très-bien lu au-dessus de leur tête ; et le meilleur des astronomes peut se laisser tomber sans être une pauvre bête.

L’astrologie judiciaire est à la vérité une charlatanerie très-ridicule ; mais ce ridicule ne consistait pas à regarder le ciel : il consistait à croire ou à vouloir faire croire qu’on y lit ce qu’on n’y lit point. Plusieurs de ces fables, ou mal choisies, ou mal écrites, pouvaient mériter en effet la censure de Boileau.

Rien n’est plus insipide que la femme noyée[5] dont on dit qu’il faut chercher le corps en remontant le cours de la rivière, parce que cette femme avait été contredisante.

Le tribut des animaux envoyé au roi Alexandre[6] est une fable qui, pour être ancienne, n’en est pas meilleure. Les animaux n’envoient point d’argent à un roi ; et un lion ne s’avise pas de voler de l’argent.

Un satyre qui reçoit chez lui un passant[7] ne doit point le ren-

  1. Livre Ier, fable ire.
  2. Livre Ier, fable v.
  3. Livre II, fable viii.
  4. Livre II, fable xiii.
  5. Livre III, fable xvi.
  6. Livre IV, fable xii.
  7. Livre V, fable vii.