Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/107

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À ces paroles il se jeta à ses genoux, et les baigna de larmes. Astarté le releva tendrement, et elle continua ainsi : « Je me voyais au pouvoir d’un barbare, et rivale d’une folle avec qui j’étais renfermée. Elle me raconta son aventure d’Égypte. Je jugeai par les traits dont elle vous peignait, par le temps, par le dromadaire sur lequel vous étiez monté, par toutes les circonstances, que c’était Zadig qui avait combattu pour elle. Je ne doutai pas que vous ne fussiez à Memphis ; je pris la résolution de m’y retirer. « Belle Missouf, lui dis-je, vous êtes beaucoup plus plaisante que moi, vous divertirez bien mieux que moi le prince d’Hyrcanie. Facilitez-moi les moyens de me sauver ; vous régnerez seule ; vous me rendrez heureuse, en vous débarrassant d’une rivale. » Missouf concerta avec moi les moyens de ma fuite. Je partis donc secrètement avec une esclave égyptienne.

« J’étais déjà près de l’Arabie, lorsqu’un fameux voleur, nommé Arbogad, m’enleva, et me vendit à des marchands qui m’ont amenée dans ce château, où demeure le seigneur Ogul. Il m’a achetée sans savoir qui j’étais. C’est un homme voluptueux qui ne cherche qu’à faire grande chère, et qui croit que Dieu l’a mis au monde pour tenir table. Il est d’un embonpoint excessif, qui est toujours prêt à le suffoquer. Son médecin, qui n’a que peu de crédit auprès de lui quand il digère bien, le gouverne despotiquement quand il a trop mangé. Il lui a persuadé qu’il le guérirait avec un basilic cuit dans de l’eau rose. Le seigneur Ogul a promis sa main à celle de ses esclaves qui lui apporterait un basilic. Vous voyez que je les laisse s’empresser à mériter cet honneur, et je n’ai jamais eu moins d’envie de trouver ce basilic que depuis que le Ciel a permis que je vous revisse. »

Alors Astarté et Zadig se dirent tout ce que des sentiments longtemps retenus, tout ce que leurs malheurs et leurs amours pouvaient inspirer aux cœurs les plus nobles et les plus passionnés ; et les génies qui président à l’amour portèrent leurs paroles jusqu’à la sphère de Vénus.

Les femmes rentrèrent chez Ogul sans avoir rien trouvé. Zadig se fit présenter à lui, et lui parla en ces termes : « Que la santé immortelle descende du ciel pour avoir soin de tous vos jours ! Je suis médecin, j’ai accouru vers vous sur le bruit de votre maladie, et je vous ai apporté un basilic cuit dans de l’eau rose. Ce n’est pas que je prétende vous épouser : je ne vous demande que la liberté d’une jeune esclave de Babylone que vous avez depuis quelques jours ; et je consens de rester en esclavage à sa place si je n’ai pas le bonheur de guérir le magnifique seigneur Ogul. »