Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/110

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Itobad, fort vain, peu courageux, très-maladroit, et sans esprit. Ses domestiques l’avaient persuadé qu’un homme comme lui devait être roi ; il leur avait répondu : « Un homme comme moi doit régner ; ainsi on l’avait armé de pied en cap. Il portait une armure d’or émaillée de vert, un panache vert, une lance ornée de rubans verts. On s’aperçut d’abord, à la manière dont Itobad gouvernait son cheval, que ce n’était pas un homme comme lui à qui le Ciel réservait le sceptre de Babylone. Le premier chevalier qui courut contre lui le désarçonna ; le second le renversa sur la croupe de son cheval, les deux jambes en l’air et les bras étendus. Itobad se remit, mais de si mauvaise grâce que tout l’amphithéâtre se mit à rire. Un troisième ne daigna pas se servir de sa lance ; mais, en lui faisant une passe, il le prit par la jambe droite, et lui faisant faire un demi-tour, il le fit tomber sur le sable : les écuyers des jeux accoururent à lui en riant, et le remirent en selle. Le quatrième combattant le prend par la jambe gauche, et le fait tomber de l’autre côté. On le conduisit avec des huées à sa loge, où il devait passer la nuit selon la loi ; et il disait en marchant à peine : « Quelle aventure pour un homme comme moi ! »

Les autres chevaliers s’acquittèrent mieux de leur devoir. Il y en eut qui vainquirent deux combattants de suite ; quelques uns allèrent jusqu’à trois. Il n’y eut que le prince Otame qui en vainquit quatre. Enfin Zadig combattit à son tour : il désarçonna quatre cavaliers de suite avec toute la grâce possible. Il fallut donc voir qui serait vainqueur d’Otame ou de Zadig. Le premier portait des armes bleues et or, avec un panache de même ; celles de Zadig étaient blanches. Tous les vœux se partageaient entre le chevalier bleu et le chevalier blanc. La reine, à qui le cœur palpitait, faisait des prières au Ciel pour la couleur blanche.

Les deux champions firent des passes et des voltes avec tant d’agilité, ils se donnèrent de si beaux coups de lance, ils étaient si fermes sur leurs arçons, que tout le monde, hors la reine, souhaitait qu’il y eût deux rois dans Babylone. Enfin, leurs chevaux étant lassés et leurs lances rompues, Zadig usa de cette adresse : il passe derrière le prince bleu, s’élance sur la croupe de son cheval, le prend par le milieu du corps, le jette à terre, se met en selle à sa place, et caracole autour d’Otame étendu sur la place. Tout l’amphithéâtre crie : « Victoire au chevalier blanc ! » Otame, indigné, se relève, tire son épée ; Zadig saute de cheval, le sabre à la main. Les voilà tous deux sur l’arène, livrant un nouveau combat où la force et l’agilité triomphent tour à tour. Les